Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Encore une heure
24 avril 2013

Chapitre 2

 

Je faisais nerveusement tourner mon verre vide entre mes doigts, tout en fixant l’enveloppe posée sur la table. Impossible de se tromper : en haut à gauche de celle-ci figurait bel et bien le logo du lycée Charles de Gaulle. Dans mon cas, recevoir une lettre de mon école (adressée à M. et Mme Villard) était synonyme de jours sombres et d’ambiance électrique à la maison. Le trimestre d’hiver venait à peine de commencer, il était donc impossible que cela puisse être mon bulletin de notes. Pourtant, il aurait peut-être mieux valut que ce soit mes pitoyables résultats à la place de je ne sais quelle sorte de lettre incendiaire écrite de la main d’un de mes professeurs.

J’étais en train de prier pour que cette année, exceptionnellement, les bulletins de notes soient envoyés avant les vacances de Noël, quand ma sœur fit irruption dans la cuisine.

- Hé Mel, t’as vu qu’on a reçu une lettre de ton bahut ? demanda t-elle, en insistant lourdement sur le mot « lettre ».

Harmonie a tendance, ce qui me donne parfois des envies de meurtre sur sa personne, à remuer le couteau dans la plaie.

- Ouais, j’ai vu ça, répondis-je mollement, sans même lever le nez.

- Tu crois que ce sont les notes ? Ça veut dire qu’on va aussi recevoir les miennes ? Oh non… Maman va me tuer si elle voit ma moyenne en maths, et papa va hurler quand il va voir mes résultats en sp…

- Nini, la coupai-je, stop, ce ne sont pas nos notes, c’est pas possible ! Même si j’aimerais bien, terminai-je pour moi. Ça doit surement être une convocation, continuai-je, ou peut-être un avis de retard ou d'abs...

Mon absence ! Mais bien-sûr, pourquoi n’y avais-je pas songé plus tôt ? Sans doute parce que c’était la première fois depuis des mois que je n’avais pas loupé les cours. Je m’en voulu d’avoir oublié la procédure, et rigolai de mettre mise dans tous ces états, pour une simple lettre d’absence non justifiée.

Le mardi précédent mon frère avait passé sa soutenance de thèse, dans son université au cœur de Lyon, et mes parents avaient insisté pour que j’y assiste, quitte à louper les cours du matin. Ils avaient argumenté leur demande en invoquant le fait que, moi aussi dans quelques années, je serai bien contente que ma famille me soutienne dans de telles situations. Ils avaient également ajouté que la chance de voir son frère soutenir 3 ans de travail acharné, face à un jury, ne se présenterait qu’une seule fois dans ma vie. Effectivement, je n’ai qu’un frère, ce qui limite les possibilités… Je n’ai donc pas pu échapper aux deux longues heures sur la physique quantique et le rayonnement électromagnétique. Génial ! Mais, je crois que l’heure la plus écœurante de cette matinée là, fut celle du pot, en compagnie d’une bonne vingtaine de ses collègues, dont le QI de chacun n’était pas en deçà de 150. Qu’est-ce qu’une lycéenne, littéraire par-dessus le marché, faisait au milieu de tous ces scientifiques ? A part, figuration, je  ne vois pas… Autant dire qu’après cette épouvantable matinée, faire justifier mon absence n’était plus vraiment ma priorité.

Je laissai ma sœur dans la cuisine et couru jusqu’à ma chambre pour appeler Priscilla et lui annoncer la « bonne » nouvelle. Nous rîmes pendant dix minutes en essayant d’imaginer quel genre de lettre cela aurait pu être si elle provenait d’untel ou untel… J’allumai ensuite mon ordinateur, et me connectai à Facebook. Deux nouvelles demandes d’amis : un plouc de mon club de lecture, et un habitué du bar où je travaille. Je les refusai toutes les deux et commençai à parcourir le fil de l’actualité de mes 453 « connaissances », quand j’entendis au rez-de-chaussée ma mère m’appeler. Mon sang ne fit qu’un tour dans mes veines : cela ne devait pas être une absence…

- Mélodie, commença ma mère, ta rencontre parents-professeurs est dans deux semaines, et nous recevons une lettre de ton professeur principal indiquant que tu n’as pris aucun rendez-vous. Zéro.

Cela faisait quelques jours que M.Gingé mon professeur de philosophie essayait de me parler à la fin de chaque cours. Persuadée qu’il me tiendrait la jambe toute la récréation à propos de ma dernière dissertation plus qu’insuffisante, j’avais à chaque fois quittée la classe le plus rapidement possible. Je me mêlais au flot d’élèves et feignais de ne pas voir ses signes de mains ni d’entendre ses « Mélodie ? Mélodie ? … Mlle Villard ?».

- Maman, protestai-je, tu sais bien que ce genre de réunion n’apporte rien de constructif pour…

- Rien de constructif ? C’est ton éducation qui serait à reconstruire -voir construire- entièrement, Mélodie. Tu sais bien, continua t-elle, que ton père et moi sommes très attachés à ce genre de rencontre, lors desquelles ont fait toujours de surprenantes découvertes.

En avril dernier, alors que j’étais en Première, la réunion avait été un vrai désastre. Chaque rendez-vous était pire que le précédent, à tel point que mes parents avaient voulu partir avant d’avoir rencontré tous mes enseignants. J’avais cependant insisté pour qu’ils rencontrent mon professeur d’allemand, qui je le savais, m’appréciait. Mais ce n’était qu’illusion. Ce dernier avait été le plus malpoli de tous, et avait littéralement insulté mes parents. Sacré faux-cul celui-là, je ne suis pas prête d’oublier ses paroles humiliantes et ses pensées dégradantes, qu’il cachait derrière un sourire. Heureusement, cette année j’ai un autre professeur d’allemand ; je soupçonne d’ailleurs mes parents d’y être pour quelque chose… Dans le privé, tout s’achète.

Comme si elle avait lu dans mes pensées, ma mère lança, autant pour moi que pour elle-même :

- Et j’espère bien que cette fois, on ne va pas se faire insulter par le professeur d’allemand !

Sa remarque ne nécessitant pas de réponse, je tournai les talons en direction de ma chambre.

- Mélodie, n’oublie pas de prendre des rendez-vous, hein ? Avec TOUS tes professeurs, et pas seulement ceux qui te plaisent.

Je lançai un « ouais » à la volée et quittai la pièce.

A cet instant, je ne savais pas encore que cette fameuse réunion serait émotionnellement une des pires soirées de ma vie, et pas seulement à cause de mes notes ou de mon comportement en cours…

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité