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Encore une heure
29 avril 2013

Chapitre 6

 

Je fulminais en dévalant les marches, Priscilla et Déborah sur les talons. Une fois dans la cours, mêlée aux autres élèves, je marchai d’un pas plus tranquille en direction du marronnier. Je ne pouvais pas perdre la face devant le reste du lycée, juste à cause de ce demeuré. Ils ne devaient pas savoir que cette sanction pouvait avoir un impact ma vie. J’allais être mise à la porte de l’établissement, et finirais caissière au Prix Unique, c’était parié d’avance.

Priscilla me prit par le coude ; elle avait certainement remarqué que mes jambes se dérobaient sous mon poids. Sans crier gare, elle changea brutalement de direction et se mit à courir, m’attirant dans sa folie. Elle me tirait désormais par le poignet et je pestais dans son sillage, en marmonnant des protestations vaines. L’instant d’après,  je me trouvais face à un miroir dans les toilettes des filles, accrochée au lavabo. Le reflet que je découvris me laissa perplexe.

Mes cheveux courts, châtains clairs, étaient en désordre. Habituellement, une grande mèche blonde, naissant à l’extrémité supérieure gauche de mon front, tombait souplement jusqu’à l’oreille opposée. Lorsque je penchais la tête pour écrire,  elle  chatouillait la commissure de mes lèvres et cachait une grande partie de mon œil droit. Je la repoussais régulièrement afin que nulle ne puisse ignorer mes yeux vert émeraude. Ce matin, le maquillage qui les mettait si bien en valeur, coulait sur mes minces pommettes.

- Ouais, me dit Priscilla, tu as du avoir les larmes aux yeux sans t’en apercevoir, c’est pour cela que j’ai préféré t’amener ici. Et puis, on est tranquille là. Tu crois que ce sont des larmes de colère ou de déception ?

- ‘sais rien, réussis-je à articuler. Merci.

Je m’essuyais les yeux avec le mouchoir que Priscilla m’avait tendu, lorsqu’un groupe de trois filles entra, dans un écho de rires. Je pivotai imperceptiblement, mais suffisamment pour dissimuler mon visage et son reflet. Après m’être mouchée, en simulant un rhume, -Dieu merci, j’avais décidé de passer mes nerfs sur Chalamangé, en hiver- je quittai les toilettes, en prenant garde de leur tourner le dos.

Une fois dehors, Priscilla posa la paume de sa main sur sa hanche, et m’adressa son plus beau sourire. Je le lui rendis et glissai mon bras au creux de son coude, pour marcher à ses côtés, la tête haute. Arrivées à leur niveau, nos trois amis n’interrompirent pas leur conversation afin de me fusiller de questions auxquelles je n’avais pas envie de répondre. Je remerciai intérieurement Déborah d’avoir glissé aux garçons, quelques mots de ma situation, plus que désastreuse. Je savais qu’aucun d’eux n’avait jamais reçu d’heures de colle, et que leurs conseils se résumeraient à me proposer de passer sous le bureau pour « négocier ». Cette idée flotta néanmoins quelques secondes à la frontière de mon esprit ; je la chassai sitôt que je senti le sang monté à mes tempes.

C’est de meilleure humeur que je regagnai les salles de classe. Pendant les deux heures de cours de lettres, Priscilla et moi dressâmes une liste de tous les arguments que je pouvais présenter ainsi que quelques arrangements honnêtes et envisageables. J’entrepris de tout mémoriser et glissa la liste dans la poche arrière de mon jean, au cas où. Je n’eu cependant besoin ni de ma mémoire ni du pense-bête.

Lorsque la cloche retenti, mon plaidoyer tournait en boucle dans mon esprit. Je me hâtai vers la salle 203, et le trouva seul, derrière son bureau. Je toquai un coup sec contre la porte ouverte, et en l’absence de réponse, entrai. Je ne m’étais pas encore assise face à lui, qu’il déclara sans lever les yeux :

- J’ai eu une idée qui devrait faire l’unanimité, Mlle Villard.

- Ah ? Hein, heu… non, parce qu’autrement j’avais pensé que …

- Laissez-moi commencer, me coupa t-il, et si cela ne vous conviens pas, nous en débâterons ensuite.

Il avait relevé la tête et me regardait à présent, droit dans les yeux. Était-ce par respect ou pour essayer de m’intimider ?

- Très bien, allez-y, lui concédai-je en haussant les épaules.

- Ok, je vous explique. Installez-vous confortablement Mlle Villard, il est possible que ce soit long.

Je lui obéis et me contorsionnai sur la chaise pour m’extraire de mon blouson.

- Donc, reprit-il, si j’ai bien compris, tout à l’heure vous me proposiez de « trouver un arrangement », afin de vous éviter l’exclusion ?

Je hochai la tête.

- Je ne sais pas si vous êtes au courant, Mlle Villard, mais ce n’est pas dans mes habitudes de marchander avec mes élèves. De ce fait, j’aurais plusieurs choses à vous demander en retour de l’atténuation de la sanction. Alors, voilà comment on va procéder : pendant deux semaines, vous resterez tous les soirs, une heure supplémentaire, ce qui nous amènera à vos dix heures.

- Tous les soirs ? Pendant deux semaines ? Une heure ?

- Cela vous pose t-il un problème ?

- C’est-à dire que je ne …

- Vous resterez une heure, avec moi. Vous m’aiderez dans mon travail, et cela vous permettra par la même occasion, de réviser pour le bac.

- Mais heu… Vous aidez à faire quoi ?

- Depuis que je suis étudiant à la faculté, je n’ai jamais pris le temps de reproduire mes cartes sur des logiciels adaptés. Vous avez peut-être remarqué ce matin toutes les peines que j’ai eues à faire fonctionner le rétroprojecteur. De plus, je trouve que mes cartes et croquis, dessinés sur transparent, sont difficilement lisibles. Sauf que cela prend énormément de temps à tout mettre sur informatique; rien que pour le Mexique j’en ai eu pour quatre heures, alors imaginez la Chine ou les Etats-Unis !

- Ouais, pas cool, lançai-je l’air désintéressé.

- Du coup, votre mission serait de le faire à ma place. Bien-sûr, je vous prêterai mon ordinateur portable, et vous expliquerai rapidement comment fonctionne le logiciel.

- D’accord, mais quelles sont vos autres « conditions » ?

- Vous resterez jusqu’à la fin de l’année à la place de M.Trein, je pense que cela sera bénéfique pour tout le monde : vous, Mlle Fild, l’ensemble de la classe, et surtout, moi.

- Très bien, quoi d’autre ? demandai-je agacée.

- Je voudrais m’assurer que tout ceci restera bien entre nous. Si par malheur j’apprends que notre « arrangement » est arrivé aux oreilles de vos camarades, ou pire de mes collègues, croyez-moi, votre aventure au lycée Charles de Gaulle pendra très très…trés vite fin.

Je me doutais qu’il mettrait sans hésiter ses menaces à exécution. Je savais néanmoins que je ne pourrais pas cacher bien longtemps la vérité à Priscilla. Je répondis cependant :

- Oui, oui bien entendu monsieur. Vous avez ma parole. Par contre j’aimerais changer une de vos règles.

- Laquelle ? m’encouragea t-il.

- Serait-il possible d’inverser le nombre de jours avec le nombre de semaines ? C’est-à-dire : deux soirs par semaine, pendant cinq semaines.

- Et je suppose que je ne peux pas vous demander : pourquoi ?

- Effectivement, répondis-je amusée. Les mardi et jeudi de 18h à 19h, cela vous conviendrait-il ?

Il réfléchit, posa ses lunettes sur le bureau, puis hocha la tête.

- Dans ce cas, il me reste plus qu’à vous souhaiter bon appétit, Mlle Villard.

- Merci monsieur, vous de même. Au revoir.

Je saisi mon blouson, et sortis en hâte, de peur qu’il ne change d’avis.

- Mlle Villard, m’interpella t-il, une dernière chose…

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