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Encore une heure
24 mai 2013

Chapitre 12

 

Tandis que mon ordinateur démarrait, je notai l’adresse sur un post-it, replaçai tous mes « trésors » dans le tiroir, rangeai la clé à sa place et déverrouillai ma porte de chambre. Si ma mère s’apercevait que je m’étais enfermée, elle soupçonnerait rapidement un comportement louche, ce que je voulais à tout prix éviter. J’avais déjà ma dose d’ennuis à l’heure actuelle.

En deux-trois clics, j’avais une vue aérienne de son quartier. Lorsque je zoomai pour lire des noms de rues et tenter de me repérer, une boule dans ma gorge gonfla et mon estomac se replia sur lui-même. Il habitait à environ trois minutes à pieds du bar ou je travaillais, dans ce fameux « quartier huppé ». Il n’était pas nécessaire que je prenne des notes : en partant du Texas’ Street, je savais exactement comment aller jusqu’à chez lui sans avoir besoin d’un GPS.

Le lendemain, je n’eus aucune difficulté à pénétrer dans l’enceinte du lycée à 8h. Les samedi matin étaient réservés aux terminales : environ une fois sur trois nous avions un examen type baccalauréat, dans une matière. Le concierge connaissait mon visage, mais ne savait pas particulièrement quelle était ma spécialité, et heureusement. Ainsi, il ne fut pas surpris de me voir franchir la grille parmi un troupeau de terminales S. Récupérer le portefeuille fut un jeu d’enfant. La salle 203 n’était même pas fermée à clé ; décidemment, il était incorrigible celui-là… Se faire voler ses papiers et son liquide ne l’avait pas rendu plus méfiant.

Lorsque je revins à la maison, elle baignait dans un calme serein et les volets étaient encore fermés. En silence, je montai les marches et retournai me coucher. Je réglai l’alarme de mon réveil à « 10:30 » en espérant pouvoir terminer ma nuit, trop courte, mais surtout trop agitée. Je m’étais retournée un nombre incalculable de fois dans mon lit, sans réussir à trouver le sommeil. Je repensais aux derniers événements : mon AlterCation avec Chalamangé, son portefeuille, sa manière de tapoter ses cuisses, de regarder les miennes…

La grisaille qui couvrait le ciel cet après-midi là, ne m’aida pas à garder les yeux ouverts. Cela faisait plus de deux heures que je planchais sur un texte de philosophie, et pourtant, depuis quasiment un quart d’heure je lisais et relisais la même phrase de Pierre Duhem :  « Un pareil mode de démonstration semble aussi convaincant, aussi irréfutable que la réduction à l’absurde usuelle aux géomètres ; c’est du reste, sur la réduction à l’absurde que cette démonstration est calquée, la contradiction expérimentale jouant dans l’une le rôle que la contradiction logique joue dans l’autre ». Je songeais qu’il était parfaitement inutile que je m’acharne ne serait-ce qu’une seconde supplémentaire. S’il y avait bien une chose que j’avais retenue du cours de philo, c’est que Platon avait dit un jour, que le début de la dissociation de l’âme et du corps représentait la fin de l’être vivant. OK, je n’étais pas encore « finie », mais mon cerveau n’était plus connecté au reste de mon corps et je n’arrivais définitivement pas à me concentrer : j’avais besoin de me changer les idées. Par ailleurs, l’heure à laquelle je commençais mon service au Texas’ Street les samedi après-midi, approchait à grand pas. Je remballai donc mes affaires de cours, les fourrai dans mon sac, vérifiai que le portefeuille de Chalamangé était toujours au fond de celui-ci et y ajoutai le miens. En passant devant le bureau de mon père, je le prévins comme chaque semaine que j’allais passer la fin d’après-midi et la soirée chez Priscilla, pour faire nos devoirs, puis nous détendre un peu.

En poussant la porte du bar, je m’arrêtai net ; il était là juste devant moi, l’homme pour qui je me torturais l’esprit depuis plusieurs jours : Antoine Chalon. Vêtu d’un simple jean noir et d’une chemise à carreaux blancs et violets. Il ne portait pas ses lunettes et ses cheveux étaient en bataille, mais une bataille organisée. Autant le dire tout de suite : le charme du professeur sérieux et pète-sec avait été rompu, laissant place à image à la fois douce et rebelle du personnage. Face à moi, un sourire plaqué sur ses lèvres, il prenait la pose juste au dessus de la phrase « Samedi 13 Décembre à 21h30 ». J’avais dû passer un nombre incalculable de fois devant cette affiche de concert, sans même lui prêter attention. Pourquoi venait-elle d’attirer mon regard à l’instant ? Etait-ce vraiment le poster qui m’avait stoppée net, ou plutôt le blondinet en chemise ? Ou bien, était-ce seulement la date d’aujourd’hui qui m’avait interpellée ?

Je réfléchissais plus vite que je n’interprétais mes pensées, et c’est seulement après quelques secondes, que ma dernière interrogation me fit réagir. Quoi ? La date d’aujourd’hui ? Cela signifiait que… lui ? Ici ? Ce soir ? En concert ? La seule réponse à toute ces questions absurdes fut « et merde ! ».

- Cyprien ?! appelai-je en pénétrant dans le bar quasiment vide.

Il devait être accroupi derrière le comptoir car je le vit relever la tête à l’annonce de son prénom. Il fronça les sourcils, et vint à moi comme s’il avait ressenti ma détresse. Il me planta un bisou sur chaque joue, et pour la première fois, mon corps ne réagit pas.

- Que se passe t-il, poupée ?

Cette fois, mon corps réagit.

- Il y a un groupe qui joue ce soir ? demandai-je en pointant l’affiche de l’index, par-dessus mon épaule.

- Ouais, pourquoi ?

Bonne question ! Que voulais-je exactement savoir, ou ne pas savoir ?

- C’est rare… répondis-je simplement après quelques secondes d’hésitation.

- Ouais, mais je connais bien le chanteur. Tu sais, Georges ? Il est déjà venu plusieurs fois au bar. Un petit brun aux cheveux longs  qui est tout le temps en train de...

Je ne l’écoutais plus. Celui qui m’intéressait n’était pas le petit brun mais le grand blond à la chemise violette. Il fallait que j'en ait le cœur net. Que je sache si je devais prendre la fuite maintenant, ou attendre un peu…

- Cyprien ! le coupai-je dans sa description déchaînée, alliant paroles et gestes enthousiastes. Je crois que je ne vais pas pouvoir rester ce soir… Tu te souviens le professeur d’histoire-géo dont je t’ai parlé mercredi ? Celui qui m’a refilé 10h de colle…

- Ouais, je ne suis pas près de l’oublier cet enfoiré. Je te jure que si je le croise je vais le réduire en une bouillie si fine qu’on pourra l’aspirer à la paille.

- Merci du coup de main, mais tu vois… Ce prof est sur l’affiche du concert.

- Non ? Sérieux ?! s’exclama t-il. Lequel ? Il s’appelle comment ?

- Un blond, il s’appelle Antoine Chalon.

Ses yeux s’agrandirent subitement, et son menton se décrocha presque de son cou.

- Putain de merde, finit-il par lâcher, Antoine ? Le batteur ?

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