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Encore une heure
27 mai 2013

Chapitre 13

 

J’avais parfaitement entendu Cyprien mais, nourrissant le maigre espoir que sa langue ait fourché, je le fis répéter.

- Quoi ? fis-je semblant de m’étonner.

- Oups, désolé pour les gros mots, c’est sortit tout seul.

- Cyprien, je m’en fiche de ton vocabulaire. Mais… tu confirmes bien que le blond sur l’affiche s’appelle Antoine ? Et qu’il sera là ce soir ?

Il s’approcha du poster, mit une pichenette contre le visage du concerné, et pencha la tête de côté en ricanant.

- Sans aucun doute possible, poupée.

- Ça te fait marrer ? S’il me chope…

Sur ces mots je me tournai inconsciemment vers l’entrée du bar, comme si je m’attendais à le voir sur le pas de la porte. Je ne devais pas lui laisser l’occasion d’apprendre que je travaillais à temps -plus que- partiel au Texas’ Street. En considérant qu’il découvre que je suis l’auteure du vol, il en saura plus à mon propos que mes propres parents.

  1. Je suis une voleuse (et une menteuse)
  2. Je ne vais plus au club de lecture mais travaille secrètement dans un bar
  3. Je bois de l’alcool
  4. Je me suis faite collée 10 heures
  5. Je suis à deux doigts d’être exclue de mon établissement

S’il m’attrape et vend la mèche, je vais définitivement me faire virer du lycée et de chez moi accessoirement, et avec un peu de chance, passer quelques heures à me justifier au commissariat, pour un vol et un travail illégal. Et j’embarquerai Cyprien dans ma galère… Je me ressaisis et emboitai le pas à ce dernier, qui retournait vers la cuisine.

- Tu sais que s’il me -enfin nous- balance, tu finiras derrière les barreaux ?

- Mélodrame entre en scène ! Attention sortez les mouchoirs !

- Arrête de m’appeler comme ça, protestai-je, tu sais bien que ça m’énerve. Et puis, je ne dramatise pas, j’essaye juste d’être réaliste… et aussi de sauver nos peaux à tous les deux.

- Ne t’inquiète pas, essaya t-il de me rassurer. Puis il baissa d’un ton.

- Personne n’a jamais su que tu bossais au black ici, je ne vois pas pourquoi ton cher professeur le découvrirait. De toute manière, je connais bien Georges, j’ai confiance en lui. Si je lui demande qu’Antoine promette de garder le silence, alors il ne dira rien…

- Dire quoi ? demanda une voix derrière nous.

Trop absorbée dans mes arguments et mes menaces de pacotilles, je n’avais pas remarqué que quelqu’un était entré dans le bar. Et même si mon interlocuteur y avait prêté attention, il avait sans doute « oublié » de me prévenir. Je ne me donnai pas la peine de me retourner ; j’avais reconnu cette voix, à la fois autoritaire et nonchalante. Je fonçai tout droit vers le comptoir, en espérant découvrir une porte secrète qui mène directement de la cuisine à une ruelle derrière le bâtiment. Ou bien un passage qui me permette de rentrer très profondément sous terre. Mon premier réflexe fut de composer le numéro de Priscilla pour lui demander de l’aide, ou du moins, quelques-uns de ses bons conseils. Me trouvant indigne de prendre appui sur elle, je m’apprêtais à raccrocher, mais elle avait été plus rapide que moi :

- Oui, Mél ?

Contre toute attente, entendre sa voix me donna le courage de les affronter : elle et les mensonges qui nous séparaient.

- Pris, j’ai besoin de toi. Je suis un peu en stresse là…

- Qu’est-ce qui se passe, ma chérie ?

- Tu ne devineras jamais où je suis…

- Au Texas, non ? lança t-elle ironiquement.

- Ouais, enfin je voulais dire : tu ne devineras jamais avec qui je suis, au Texas !

- Avec le Dieu qui hante tous tes rêves, le héros de tes fantasmes ? Celui qui a donné le prénom de la plupart de tes Sims ? Celui dont tu…

- Priscilla ! la suppliai-je.

- Ouais, désolée. Bon alors, avec qui tu es ? Un acteur connu ? Un sportif célèbre ? Un musicien qui fait tomber toutes les filles ?

- Tu ne crois pas si bien dire, marmonnai-je entre mes dents. Chalamangé, repris-je, il est là…

- Quoi ? Chalamangé ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il f….

- Heu, en fait il…

Sans me laisser le temps de lui expliquer, elle enchaina :

- Tu n’as qu’à te planquer le temps qu’il boive un coup, et après c’est bon. Tu veux passer chez moi en attendant ? me proposa t-elle.

- Merci de l’invitation, mais venir chez toi voudrait dire passer dans la salle, et donc devant lui. Et puis, il est là pour toute la soirée. Il est venu jouer avec son groupe, c’est le batteur. Je suis vraiment dans la crotte !

- A ce point là ? Je n’en suis pas si sûre Mél. Regarde, il a été sympa avec toi pour les dix heures de colle… Je ne vois pas pourquoi il voudrait t’enfoncer après t’avoir sauvée la mise. Tu ne crois pas ?

Je réfléchissais. Je savais très bien que dans cette situation, elle ne pourrait pas m’être d’une très grande aide. Soit je lui révélais toute la vérité -en omettant le portefeuille bien sûr- et espérais qu’elle aurait une solution, soit…

- Oui, tu dois surement avoir raison, répondis-je.

- T’inquiète pas ma chérie. Hé, tu me racontes dès que tu rentres, comment ça s’est passé, hein ?

- Oui, lui promis-je avant de raccrocher.

J’étais désormais piégée entre un mur rempli d’étagères sur lesquelles s’alignaient des bouteilles d’alcool en stock, et l’entrée du bar qui me semblait à des milliers de kilomètres. Et au milieu, un obstacle infranchissable : le coupable et la victime de mes récents écarts de conduite. Tandis que je cherchais une  manière crédible de m’éclipser, deux voix s’approchaient dangereusement de la cuisine, et ce fut celle de Cyprien que je reconnue :

- … comme Georges me l’avait dit. Mais pourquoi es-tu arrivé si tôt ?

- J’ai toute ma batterie à monter, et comme je fais aussi du synthé, je dois l’installer. Mais les autres ne vont pas tarder, on doit faire les essais de son avant que le bar ne se remplisse trop.

Entendre mon professeur d’histoire-géo discuter si naturellement avec Cyprien me fit frissonner. Comment pouvait-on faire ami-ami avec un personnage si grossier ?

- Je vais te filer un coup de main à décharger ta voiture, attends. Je vais chercher la serveuse pour qu’elle me reprenne en salle.

La serveuse ? Impossible de se méprendre, la seule serveuse à travailler le samedi entre 16h et 20h était moi, et moi seule. Ce traitre… sexy mais tellement diabolique !

- Mélo ? m’appela Cyprien. Tu peux venir s’il te plait ? Des clients !

Je ne sortis pas, et il vint me dénicher. Il s’appuya au chambranle de la porte, et me toisa en croisant les bras sur sa poitrine.

- Des clients, mon cul ! lui balançai-je au visage ! Franchement t’abuses, tu sais dans quel pétrin je suis, et tu ne m’aides pas. Au contraire…

- Calme-toi ma belle, tout va très bien se passer. Ce jeune homme est absolument charmant. Tout le monde va très bien s’entendre, et l’instant d’une soirée vous oublierez vos statuts respectifs.

- T’es marrant toi ! Tu veux aussi que j’oublie qu’il m’a collée il y a à peine trois jours ? Parce que j’avais été insolente et que je le méritais, ajoutai-je pour moi.

- Sinon fais comme si tu ne le connaissais pas, dit-il en tournant les talons. Et il me laissa bouche bée, plantée en plein milieu de la cuisine. Curieusement, d’un coup j’appréciais beaucoup moins Cyprien ; il pouvait être sûr de ne pas faire partie de mes rêves cette nuit, ce fourbe ! Mais d’ici demain mon subconscient lui aurait certainement pardonné. Un traitre, lui aussi.

En arrivant derrière le comptoir, je m’aperçus qu’il n’avait pas complètement menti : trois nouveaux clients étaient arrivés dans l’intervalle. Mais aucune trace de mon patron ou de mon professeur : ils devaient être à la voiture, j’avais encore quelques secondes de répit. J’en profitai pour souffler et essayer de contrôler les tremblements qui parcouraient mon corps. J’avais quasiment réussi lorsque Chalamangé poussa la porte du bar, les bras chargé d’une encombrante housse noire. Son regard rencontra directement le miens. 

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