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Encore une heure
30 mai 2013

Chapitre 15

 

- Cyprien t’intéresse, non ?

Seul un son à mi-chemin entre le cri d’indignation et le rire, se fit entendre. Il m’avait coupé la voix, une boule au fond de ma gorge m’empêchait de parler. Mais sa capacité à articuler des mots ne semblait pas lui avoir fait défaut, à lui.

- Inutile de me le cacher, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. En parlant de figure, tu es aussi rouge que la cape de Superman, tout va bien ?

Il me planta là, et retourna s’occuper de décharger les instruments. A chaque fois qu’il rentrait dans le bar, il nous regardait successivement Cyprien et moi, et rigolait. Ca manège semblait beaucoup l’amuser.

Le concert attira une foule impressionnante, si bien que je ne pu pas profiter de leur musique autant que je l’aurais voulu. Leur prestation était remarquable. Je constatai qu’Antoine redoublait de concentration derrière sa batterie, mais lorsqu’il passait sur le piano, ses doigts se promenaient sur les touches comme son regard dans le public. Et dès qu’il me trouvait, ce dernier s’arrêtait sur moi plusieurs dizaines de secondes. Systématiquement, son visage s’illuminait et un sourire s’étirait sur ses lèvres. Je me surpris même à imaginer que je pouvais peut-être lui plaire ; je chassai immédiatement cette idée dingue de mon esprit. Le concert se termina quelques minutes avant que la grande aiguille ne rejoigne la petite sur le chiffre « 12 » de ma montre. Mon service se terminait à minuit.

J’entrais dans la cuisine et soudainement la réalité me revint en pleine face : Antoine était mon professeur, je ne pouvais pas me laisser distraire. Mais surtout, je devais aller jusqu’à chez lui pour déposer l’objet volé dans la boîte aux lettres, et ceci avant qu’il ne rentre à son tour. Je sortis le bloc de post-it qui servait habituellement à dresser la liste des courses, et réfléchis.

« Bonjour, j’ai retrouvé ceci près de chez vous. En espérant qu’il ne manque rien ».  Je déchirai ce premier essai.

« M.Chalon, l’organisation de votre portefeuille est digne des plus grands artistes ». La deuxième tentative finit en boule.

« Il est dangereux de se promener avec autant de liquide. Vous êtes "chanceux"  ». Je balançai le post-il chiffonné par-dessus mon épaule.

 « Heureux de pouvoir vous rendre ce service, bon week-end ». Tout droit à la poubelle. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que j’opte pour quelque chose de simple : « Voici votre portefeuille, bon dimanche ».

Je glissai le mot entre deux languettes de cuir, pris mes affaires et sortis de la cuisine. Un coup d’œil rapide dans la salle m’indiqua qu’il n’était plus là. Déjà ? Il ne pouvait pas être parti si vite, et surement pas sans ses instruments, qui n’avaient pas bougé depuis la fin du concert. Cyprien bavardait avec Georges ; je m’imaginais mal interrompre leur conversation pour leur demander où était passé mon batteur/pianiste préféré. Je lui fis signe en tapotant ma montre de l’index, qu’il était l’heure que je file. Cyprien me salua de son habituel clin d’œil enjôleur. Je poussai la porte du bar, me retournai une dernière fois, mais Antoine avait bel et bien disparu.

- Tu me cherches, on dirait ? demanda une voix à quelques mètres de moi.

Il discutait devant le salon de coiffure jouxtant le bar, avec un membre de son groupe. Il me tendit son verre.

- Je te paye un coup à boire avant que tu ne partes ? me proposa t-il.

- Vous savez bien que je ne paie pas mes consommations, répondis-je.

- Moi non plus… enfin pas ce soir en tout cas, retorqua t-il. Raison de plus pour en profiter, allez viens !

Il attrapa mon poignet et m’entraina à l’intérieur, laissant le guitariste sur le trottoir, seul avec son whisky et sa cigarette.

Minuit était passé depuis bientôt deux heures, le bar se vidait doucement et mon portable affichait cinq appels en absence de « Papa ».  Notre conversation était passée par de nombreux et divers sujets mais d’un accord silencieux, nous avions soigneusement évité de parler des cours ou de tout ce qui s’y apparentait, de près ou de loin. La demi-douzaine de verres vides rassemblés au centre de la table, expliquait facilement le tournant pris par la discussion.

-… donc vous n’avez jamais mangé dans un kébab ?

- Ja-mais, s’amusa t-il.

- Vous loupez quelque chose franchement.

- Et toi, tu ferais peut-être bien d’arrêter d’y aller. Regarde, tu as au moins 5 doubles mentons.

Je baissai la tête et fis mine de les compter de mon index, puis ne trouvant rien pour me défendre je décidai d’utiliser une méthode moins spirituelle : je le chatouillai en glissant ma chaise vers la sienne.

- Mélodie, arrête ! Tu…

En une fraction de seconde il termina de réduire l’espace qui séparait nos chaises et glissa une main le long de mon cou pour tirer mon visage vers le siens. Celui-ci était paisible, ses yeux à demi-clos et ses lèvres entrouvertes n’attendaient que les miennes. Son souffle tiède me caressait le menton tandis que sa main se refermait sur ma nuque. Je n’avais plus qu’à me laisser aller contre lui, bien consciente qu’il sentirait les battements déchainé de mon cœur, et les frissons d’inquiétude qui me secouaient. Je posai néanmoins mon front contre le siens, et fermai les yeux. Aucun de nous ne fit le moindre geste et nous restâmes ainsi… un certain temps, puis il inclina légèrement la tête.

- Attendez ! l’interrompis-je.

Il ne dit rien, ne bougea pas mais rouvrit les yeux.

- On ne peut pas… poursuivais-je hésitante.

- Qu’est-ce qu’il y a ? Où est le problème ? C’est parce que je suis ton prof ? (Je ne répondis pas) Ou bien ton amour inconditionné pour Cyprien t’a coupé dans ton élan ? dit-il en tournant les yeux en direction du bar.

Je perçus une pointe de moquerie dans sa voix. Il haussa les sourcils, leva les yeux au ciel et soupira en secouant lentement la tête. Il était clair qu’il me prenait pour une gamine énamourée d’un beau gosse. En temps normal, ma première réaction aurait été de nier en bloc, mais je n’allais pas lui donner le plaisir de simplement réfuter son accusation, comme l’aurait fait un enfant de primaire. J’étais une femme, et je devais lui prouver :

- Vous êtes mal placé pour me reprocher de penser à Cyprien dans une situation pareille. Et votre femme ?

J’aurais pu parier qu’il s’énerverait ou s’indignerait de mon indiscrétion mais il se contenta de rire. Qu’y avait-il de si drôle ?

-  Ma… ma quoi ? parvint-il à articuler entre deux ricanements.

- Votre femme Marina, vous l’oubliez ?

Il cessa de rire à la seconde où le prénom de sa femme avait été prononcé. Il retira son bras de mon épaule, s’adossa à sa chaise et me fixa d’un air interrogateur.  Le silence s’étira pendant une longue minute. Je l’avais provoqué avec mon unique joker, mais nous savions tous deux que c’était à moi de me justifier et non à lui.  

- Pardon, je heu… je n’aurais pas dû dire cela, m’excusai-je. J’ai parlé trop vite, j’ai dit ça un peu au hasard.

- Au hasard ? s’égosilla-t-il. Et le prénom « Marina », il sort d’où ? Tu as deux minutes pour t’expliquer ! J’attends…

Il croisa les jambes pour dissimuler le tremblement nerveux qui les agitait, se frotta les yeux du bout des doigts, puis s’accouda solidement à la table comme si ma réponse allait le faire tanguer. Deux possibilités s’offraient à moi :

  1. Continuer à m’enfoncer dans le mensonge mais prendre le risque d’être découverte plus tard.
  2. Tout déballer tout en sachant que la punition serait bien pire que dix malheureuses heures de colle.

Je respirai profondément. Ma décision était prise.

 

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Commentaires
L
iL é tro b1 ce chapItre !
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