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Encore une heure
3 juin 2013

Chapitre 17

 

- Quuuuooiiiii ?!!!

Je ne m’étais pas attendue à une réaction aussi violente étant donné que je l’avais coupée en plein cycle de sommeil. Priscilla était assise en tailleur sur son lit, sa couette enroulée autour d’elle, offrant l’image d’un volcan dont seules une tête et une touffe brune en ressortaient. Habituellement, ses longs cheveux retombaient soigneusement du côté gauche de son visage fin. Quelques tâches de rousseur dansaient autour de son nez, se mariant à la perfection avec ses yeux noisette. Cette nuit, ses yeux vibraient de fureur et tentaient de me perforer le visage. Cependant, la douleur me toucha en plein cœur.

Lorsque j’étais entrée dans sa chambre, elle somnolait. Elle n’avait pas eu besoin de me dire quoi faire, je venais assez régulièrement pour le savoir. J’avais déplié le lit clic-clac, puis sorti de son armoire : un oreiller et un sac de couchage.  Une fois en sous-vêtements, je m’étais glissée dans le duvet puis m’étais tournée vers elle pour commencer mon récit. Je n’avais rien oublié : les heures de colle, notre arrangement, les deux heures sous tensions passées devant l’ordinateur, le vol du portefeuille, mes recherches sur internet, sa femme, mon escapade du matin, puis toute cette fin de journée au Texas’ Street : son arrivée, notre première discussion, sa question à propos de Cyprien, le concert, les verres partagés, le baiser… et c’est à cet instant précis qu’elle s’était alarmée. Moi qui espérais qu’elle se soit endormie.

- Il ne s’est rien passé, la rassurai-je. Au dernier moment j’ai reculé.

- Dieu merci, dit-elle en levant les mains au ciel, tu n’es pas encore totalement bonne pour l’asile. On peut encore espérer entrevoir chez toi, de rares signes d’un comportement rationnel…

- Pris, c’est bon, n’en fais pas tout une montagne, il ne s’est rien passé.

- Moi je vous le dit : il faut l’interner, il faut l’interner, il faut… lançait-elle dans le vide, en tapant du poing contre son oreiller pour chaque « interner ». 

La meilleure façon de la faire taire afin que je termine mon histoire était de lui sauter dessus et de la chatouiller jusqu’à ce que mort s’en suive. Ce que je fis. Elle enfouit sa tête dans la couette pour étouffer ses cris stridents et je cessai dès qu’elle me supplia.

- Alors, il faut m’interner ? lui demandai-je sur le ton du défi, les mains posées sous ses côtes.

- Heu… nooooon ! hurla-t-elle alors que je renforçai la pression de mes doigts sur son ventre, mais arrête ça s’il-te-plaît, on va finir par réveiller Corentin.

- OK j’arrête, mais tu me laisses finir de raconter SANS m’interrompre.

- Promis, chuchota-t-elle les larmes aux yeux.

- Hé, tu sais que si les chatouilles n’existaient pas je ne serais pas sur ton lit ce soir ? lâchai-je soudainement.

- Hein ? demanda-t-elle perplexe, en dégageant les cheveux de son visage.

- Je viens de repenser à ça. Tu sais, le jour où Chalamangé m’a collée dix heures, au départ il nous a reprises à l’ordre parce qu’on se chatouillait pour gribouiller la carte de l’autre. Tu te souviens ?

- Ouais, répondit-elle après quelques secondes, l’air absent.

- T’inquiète pas ma chérie, je ne te jette pas la pierre, c’est juste que ça m’y a fait repenser.

Je lui collai un bisou sur la joue, et nous nous enroulâmes dans sa couette en entremêlant nos doigts. Pour la première fois depuis le début de la semaine je me sentais détendue, sereine. Priscilla portait la moitié de mon fardeau sur ses épaules.

- Bref, repris-je en souriant, je disais donc… je me suis reculée pour éviter tout contact avec lui, et là il est monté sur ses grands chevaux en accusant Cyprien. Je lui ai répondu plutôt méchamment qu’il était mal placé, et qu’il trainait des casseroles.

- Des quoi ? s’exclama-t-elle.

- Ah ! Trainer des casseroles… Une expression qu’une vieille m’a apprise un jour. Je l’ai trouvée marrante -l’expression-, donc je la réutilise. Et arrête de me couper ! Je lui ai donc reproché de ne pas non plus être blanc comme neige.

- Blanc comme n…

- Tu veux une nouvelle série de chatouilles de la mort ? la menaçai-je en riant. En clair, je lui ai dit qu’il n’était pas non plus innocent, étant donné qu’il avait une femme. Et là, devine quoi ? Il a éclaté de rire, je n’en revenais pas. Mais dès que je lui ai parlé de Marina, tu aurais dû voir sa réaction, c’était instantané. Il s’est braqué et m’a demandé des explications.

- Tu as été un peu trop impulsive sur ce coup là ! me reprocha Priscilla. Parce que lui parler de Marina revenait clairement à avouer que, de un, tu avais volé son portefeuille et de deux, tu avais fouiné.

- Ouais je sais bien, c’est donc ce que j’ai fait. (Les yeux de mon amie doublèrent de taille) Quand j’ai sorti son portefeuille de ma poche il n’a même pas parut surpris, mais ensuite il s’est excité après moi, il a pris le portefeuille et il est parti. Ah, et il a dit un truc du genre « On se reverra en cours, on en discutera ». Bref, je ne suis pas pressée d’être lundi matin, et encore moins mardi soir…

- C’est bien beau de dire cela, maintenant que tu t’es mise dans le pétrin jusqu’au cou. Voir plus haut, ajouta-t-elle en tapotant ses lèvres du bout de l’index.

- Quoi tu es jalouse, demandai-je en m’approchant tout près de son visage, tu aimerais bien que Damien fasse pareil, c’est ça ?

- Quoi ? Lui ? Pfff… N’importe quoi ! se défendit-elle en plissant les yeux et fronçant les sourcils, comme si je l’avais accusée du plus abominable des crimes.

- Allez, je crois qu’il est temps de dormir, la nuit porte conseil. Merci encore ma Pris d’être là pour moi. Et… désolée, ajoutai-je doucement.

- C’est bon, dit-elle en me mettant un coup dans l’épaule. File dormir, ma manipulatrice préférée. 

Quelques heures plus tard, je quittais sa maison en promettant de lui raconter en avant-première tout ce qui se passerait avec Chalamangé. Aussi, elle me conseilla de prendre mes distances, de rester sur la défensive, et de ne pas le provoquer d’avantage. Elle me rappela également que mon baccalauréat et mon année de terminale étaient en jeu. Merci du soutien…

Dès notre réveil, j’avais téléphoné chez moi pour prévenir que la veille nous nous étions endormies devant un film, mais que je rentrerai bientôt. Mon père s’était contenté de dire « d’accord », mais je savais qu’un savon m’attendait du côté maternelle. Il ne se fit pas attendre, j’avais à peine refermée la porte d’entrée que ma mère se jetait sur moi, toute griffe sortie. Après cette nuit trop alcoolisée, trop émotionnelle et beaucoup trop courte, mon crâne m’envoyait des décharges électriques à chaque mouvement brusque ou son dépassant les 60 décibels. Inutile de cacher que l’accueillant et doux « Mélodie !!» de ma mère avait explosé le compteur de décibels ! Fatiguée de me justifier, je lui livrai mot pour mot -de ce que ma mémoire pouvait se souvenir- le même discours qu’à mon père. Après avoir gagnée le droit d’être « privée de Priscilla » le samedi suivant, je montai dans ma chambre, les larmes aux bords des yeux, et le cœur au bord des lèvres. Je m’écroulai sur mon lit, et laissai fondre ce poids qui écrasait ma poitrine. Je pleurai tant que je dus me glisser en douce dans la salle de bain pour tenter de redonner une allure à mes yeux et mes joues - et boire un coup par crainte de me déshydrater-.

L’après-midi, moins gris que la veille me redonna du courage. Je me replongeai dans mon texte de philosophie, ce qui me permit de me changer les idées quelques minutes. J’avais avancé de plusieurs paragraphes lorsque mon téléphone portable sonna. Les douces notes d’harmonica de Dennis Gruenling dansèrent dans ma tête, mais leurs folles galipettes s’interrompirent lorsque je vis « Inconnu » s’afficher sur l’écran.   

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