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Encore une heure
20 juin 2013

Chapitre 20

 

Je restai silencieuse. Décevoir Cyprien était une des dernières choses que je souhaitais. Et pourtant, à cause de la personne assise à côté de moi, j’allais sécher une heure de travail le lendemain, et devoir trouver une excuse en béton pour le samedi…

À 19h02 précise mon portable afficha « Appel entrant. Ma Pris ». Antoine ne m’avait toujours pas congédiée. Il fit mine de ne pas s’apercevoir que la table vibrait au même rythme que l’écran de mon téléphone clignotait, tel un sapin de Noël. Puisqu’il ne semblait attacher aucune importance à mes faits et gestes, je décrochai.

- Pris, désolée je suis occupée là. Je peux te rappeler dans deux minutes ?

Je ne lui laissai pas le temps de protester et coupai la communication, en espérant que le message était clair, autant pour Priscilla que pour Antoine. Mais il ne réagit pas. Il dut en avoir assez de m’entendre et me voir gesticuler sur ma chaise. Irrité, il aboya :

- Sortez Mlle Villard !

- Bien monsieur, répondis-je timidement.

J’enregistrai mon travail sur sa clé USB et éteignis l’ordinateur. Il soupirait autant qu’il respirait. Je récupérai mon sac, enfilai mon blouson et filai vers la sortie sans prendre la peine de me retourner ou de le saluer. Dans la précipitation j’oubliai qu’il avait fermé à clé. J’actionnai la poignée en vain et mon élan envoya mon front percuter la porte. Je ne pus m’empêcher de lâcher un juron, comme il les aimait. Je pris mon front entre mes paumes et me recroquevillai pour cacher les larmes qui me montaient aux yeux et le sang aux joues.

- Mlle Villard, ça va ?

- La clé ! beuglai-je en me relevant.

Il ne répondit pas, mais à la vitesse de l’éclair il fut derrière moi. Je fixais la porte, consciente d’être prisonnière entre celle-ci et le torse de mon professeur d’histoire-géo.

- Demain, même endroit, même heure, me glissa-t-il à l’oreille en introduisant la clé dans la serrure. Il poussa légèrement la porte et d’un coup de bassin il m’éjecta hors de la salle informatique. Derrière moi, la porte claqua. J’étais abasourdie, et encore, le mot était faible. Jusqu’à cet instant je ne savais ce que l’on ressentait lorsqu’un ouragan nous emportait dans son tourbillon. Ma tête tournait comme une toupie à la fin de sa danse, et des nausées m’écrasaient l’estomac. Je m’effondrai. J’avais perdu tous mes repères : où était le sol, le plafond, les frontières entre deux êtres humains, les limites de l’acceptable ? Et lui qui comptait m’apprendre les bonnes manières... Assise en plein milieu d’un couloir désert, j’avais désormais plusieurs raisons de penser que le monde ne tournait pas rond.

Sur le chemin du retour, j’appelai Priscilla. Je restai superficielle et passai sous silence certains événements. Surtout celui de la fin de l’heure, qui me troublait au plus haut point. Elle dû sentir une certaine détresse dans ma voix car elle me questionna avec insistance. J’esquivai en prétextant que j’étais contrariée d’arriver en retard au travail le lendemain. Ce soir-là je ne trouvai pas le courage de me mettre sur mes devoirs et encore moins le sommeil. La nuit fut longue et le réveil difficile. À mon arrivée au lycée, mon humeur était aussi maussade que la météo. J’allais devoir affronter Antoine deux fois dans la même journée, et le premier round se déroulait dans moins de cinq minutes ; je n’étais mentalement pas prête. Priscilla m’accompagna dans la salle en me tenant par le bras -qu’elle pressait de temps à autre pour me rappeler qu’elle était à mes côtés-.  

Les deux heures de cours se déroulèrent à l’identique du lundi. Il ne me prêta ouvertement aucune attention, mais je sentais ses yeux sur ma nuque lorsque j’écrivais. Et dès que mon regard se posait trop longtemps sur lui, il réajustait nerveusement des lunettes. Mais je préférai ne pas trop « jouer » avec lui et ses nerfs. Cela revenait à réclamer des représailles le soir même. Je manquai de trébucher en sortant de la salle quand un sourire malicieux m’étant destiné se dessina sur ses lèvres. Il baissa légèrement la tête et plissa les yeux. Son regard me transperça. Qu’avait-il ? Me m’était-il au défi ? Et de quoi ? Ces questions rejointes par de nombreuses autres me tourmentèrent toute la journée.

Avant d’entrer dans la salle informatique, j’appelai Cyprien, lui expliquai que j’avais un imprévu mais promis d’arriver au plus vite. S’il m’en voulait, il ne le montra pas.

Je toquai à la porte. Personne ne répondit. Je m’apprêtai à l’ouvrir lorsqu’une voix derrière moi m’arrêta :

- Mlle Villard, ne vous ai-je pas déjà demandé de ne pas entrer dans une salle de classe sans y être invitée ?

 

* * * * * * * *

 

- D’accord ma belle, fais de ton mieux, dis-je avant de raccrocher et de reposer mon Iphone sur le comptoir.

L’après-midi touchait à sa fin et Mélodie venait de m’appeler pour me dire qu’elle ne pourrait pas être là avant « 19h et des brouettes ». Qu’elle soit en retard, admettons ; qu’elle me prévienne à peine une heure avant : là, ça devenait étrange. Ce n’était pas son genre. J’allais une fois de plus devoir jouer de mes charmes pour lui tirer les vers du nez.

- Hé patron ? m’appela Gérino du fond de la cuisine.

Il savait pourtant bien que je ne répondais jamais quand on m’interpelait par mon statut.

- Patron... ? insista-t-il. Cyprien ?

- T’es incorrigible. Je t’écoute mon vieux, tu veux me parler de ta toute dernière recette maison de sauce barbecue ?

Nous plaisantâmes amicalement jusqu’à ce que le premier groupe de clients s’asseyent. Mélodie n’étant pas encore arrivée, je devais assumer seul le service en salle. Dieu merci, il y avait autant de clients à gérer en terrasse que le thermomètre affichait de degrés, à savoir… zéro.

Vers dix-neuf heures passées de quelques minutes, alors que je m’afférais  derrière le comptoir, une moto tape-à-l’œil s’arrêta devant le bar et une tignasse blonde se libéra d’un casque assorti à la bécane, rouge vif. Lorsqu’il secoua la tête pour remettre de l’ordre dans sa coiffure, un poing imaginaire vint s’écraser contre ma poitrine. Lui ! Que venait-il faire ici ? Je balayai la salle du regard. Mélodie n’était pas encore là, il était encore temps d’éviter le drame. En songeant à son coup de fil et à son « imprévu » je me dis qu’aujourd’hui le Cieux devaient être de son côté. Lorsqu’il pénétra tout sourire dans le bar, j’accouru à son devant.

- Salut Antoine.

- Salut mec. Dis-voir, elle n’est pas là ta serveuse ?

- Non, elle commence son service plus tard aujourd’hui et ça tombe plutôt bien. Je ne voudrais pas qu’elle ait d’histoires avec toi, tu comprends… Déjà que samedi soir… et puis là… enfin tu vois ? Si vous êtes aperçu ensembles, certains pourraient se faire des idées.

- Et donc ? demanta-t-il sans vraiment attendre de réponse. Tu me chasses du bar si je comprends bien ?

- Sauf si tu es venu pour autre chose que « voir la serveuse », répondis-je sèchement.

- Bon, dans ce cas…

Il se renfrogna et tourna les talons. Il n’était vraiment venu que pour elle ? Les tempes bourdonnantes et les poings serrés, je restai immobile. Puis il se retourna et éclata de rire :

- Allez, détend-toi Cyprien, je plaisantais. Bon tu me sers un whisky ? demanda-t-il en posant sa veste en cuir sur une chaise. Un grand verre de whisky, coupé avec… du whisky ?

Il me fit un clin d’œil mais je fus incapable de répondre à sa tentative d’humour. Je demeurai bouche bée. Étais-je en train de rêver ou bien usait-il lui aussi de ses charmes… mais sur… moi ? À cet instant, je compris ce qu’avait pu ressentir Mélodie samedi soir, après plusieurs verres d’alcool. Je compris pourquoi elle avait faillit succomber à ses avances. Et je compris surtout à quel point ce « faillit » avait une valeur inestimable. Alors que je pesais les pour, les contre et l’importance de cet unique mot qui aurait pu faire basculer la vie de Mélo, une silhouette traversant la rue attira mon regard. Une démarche que j’aurais pu reconnaitre parmi cent. Ses cheveux courts se soulevaient à chacun se ses énergiques pas et ses bras se balançaient gracieusement. Je soupirai. Mes épaules s’affaissèrent encore d’avantage lorsque que je surpris Antoine en train de la… reluquer de la tête aux pieds ? Ce salaud allait goûter à mon 45 s’il ne baissait pas les yeux ! Ce qu’il fit lorsqu’elle poussa la porte du bar, essoufflée.    

Dès qu’elle le vit, elle s’immobilisa. Elle regarda successivement le trottoir puis lui, visiblement stupéfaite. Elle resta planter là, la bouche entrouverte, à l’interroger silencieusement, comme s’il venait de tomber du ciel ou de se téléporter. Je ne su dire s’il lui répondit par le regard, mais une chose était sûre : imperturbable, il lui souriait.

- Salut Mélodie, lança-t-il gaiement lorsqu’elle passa à côté de lui. Tu te joins à moi ?

 

 

 

 

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