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Encore une heure
24 juin 2013

Chapitre 21

 

M’étais-je une nouvelle fois endormie en cours de mathématique ? Le mercredi, de 16h à 18h je piquais souvent du nez… Au plus profond de moi, j’espérais être en train de rêver. Ça ne pouvait pas être lui, là assis à une table. À la table 7 en plus : MA table ! Une nouvelle occasion s’offrait à moi pour tester la célèbre technique du pincement, mais je préférais me croire dans un rêve. Enfin, un cauchemar. Je me souvenais -ou rêvais, au choix- avoir téléphoné à Cyprien puis m’être dirigée vers la salle informatique. Alors que j’allais entrer dans la pièce « sans y être invitée », il était arrivé, les bras chargés. Autour d’un de ses coudes pendait un casque de moto et au bout de son bras sa sacoche d’ordinateur et une veste en cuir. Sous son autre bras il maintenait tant bien que mal une boîte en plastique opaque, tout en fouillant dans sa poche de jean -sans doute à la recherche des clés-.

- Besoin d’un coup de main ? avais-je suggéré.

Il m’avait tendu ses hanches et indiqué sa poche d’un coup d’œil.

- C’est pas de refus. J’ai récupéré la clé de secours aujourd’hui, mais elle n’est pas sur un trousseau donc elle a dû se perdre au fond de ma poche, si vous voulez bien…

Je m’étais approchée, tête baissée, hésitante. Mes joues avaient commencé à chauffer, mon dos à transpirer et mes doigts à trembler.

- Si vous préférez, avait-il repris, vous pouvez me la tenir ?

Je n’avais pu m’empêcher de pouffer de rire tout en m’étranglant de stupeur. Ce qui avait donné un résultat des plus étranges. Ignorant son sourire moqueur, je m’étais ressaisie.

- Pardon ?

- La boîte ! À quoi pensiez-vous Mlle Villard ?

Piquée au vif, j’avais attrapé la petite caisse calée sous son bras tout en marmonnant un espèce de « rien » d’un ton boudeur. Comme la veille, il nous avait enfermés à l’intérieur. Cette fois, j’avais bien pris note de ne pas essayer de sortir à la hâte : un hématome sur le front me suffisait amplement. (Je n’ai jamais su qui était l’inventeur du fond de teint, mais je le remerciais en silence tous les matins, et tout particulièrement aujourd’hui.) Nous nous étions installés à nos postes en silence et il avait sorti son ordinateur portable personnel. Alors que seuls quelques « clic » de souris venaient s’entrechoquer avec notre mutisme, il avait balancé d’un naturel déconcertant :

- Nous pourrions rentrer ensemble ce soir ?

Depuis quand existait-il un « nous » ?

- Hein ? avais-je dit l’air distrait.

- Si vous voulez je peux vous raccompagner.

- Où ? Au bar ?

- Oui, ça vous permettrait de ne pas arriver trop en retard, avait-il répondu en insistant sur le « trop ».

- Sans façon. Je ne monte pas en voiture avec n’importe qui.

- Merci !

- Et puis, je ne préfère pas que l’on nous voit ensemble.

Un silence d’acier c’était installé entre nous avant qu’il ne reprenne :

- Mais je ne suis pas n’importe qui, voyez vous…

- Effectivement, l’avais-je coupé.

- …et je ne vous demanderai pas de monter dans ma voiture. Je suis justement venu en moto ce matin, avait-il dit en désignant son casque et sa veste de motard.

- Raison de plus !

- Ce vous qui voyez, Mlle Villard !

- C’est déjà tout vu… Dans tous les cas, je doute que vous ayez un casque pour moi !

- Vous vous trompez. Le deuxième est dans mon casier. Alors, c’est un « oui » ?

- Non. C’est un « non ». Mais je vous remercie de vous soucier de mes heures de travail monsieur.

- N’essayez pas de me faire culpabiliser jeune fille ! Si on est ici ce soir, ce n’est tout de même pas de ma faute, si ?

- Parce que c’est de la mienne si on se retrouve enfermés dans cette pièce, plutôt que dans la salle 203 ? avais-je demandé insolemment en montrant le sol du doigt.

- C’est peut-être moi qui aie fouillé dans vos affaires ?

À son tour, il avait accompagné sa phrase d’un geste de la main, son index allant sévèrement de son torse à mon visage. Puis il avait laissé retomber son bras le long du corps, visiblement dépité par ces chamailleries dignes d’écoliers. Je ne m’étais pas laissée démonter, sachant pertinemment que j’étais en tord.

- Certes. Mais vous n’acceptiez pas de répondre à de simples questions.

- Sans doute parce que les réponses ne vous concernaient pas, Mlle Villard. Désormais le sujet est clos. Et gardez bien en tête que si vous êtes en retard ce soir, c’est uniquement de votre faute.

À quoi rimait cet échange ? La seule personne avec qui je me prenais régulièrement le bec de cette manière -et m’en délectais- était ma sœur. Cela m’inquiétait d’autant plus que je m’amusais à répéter à Priscilla que se battre avec un garçon cachait forcement « quelque chose ». Est-ce que cette chose était l’indescriptible sentiment de peur qui me tenaillait l’estomac depuis samedi ? Le dimanche matin, lorsque je m’étais réveillée dans le canapé dépliable de Priscilla, mon appétit s’était envolé. Mes parents m’avaient questionnée à ce sujet au repas du midi et du soir. Je leur avais répondu que la fatigue s’était substituée à la faim. Je connaissais la vraie raison : la fatigue n’y était pour rien. La panique, la colère et l’appréhension s’étaient emparées de mon habituelle gourmandise. Si cette « relation » plus qu’ambigüe avec Antoine me faisait perdre le sommeil, elle avait au moins l’avantage de me faire également perdre des kilos !

La suite de la séance s’était déroulée sans encombre, si on oubliait les regards assassins qu’ils m’avaient jetés à intervalles réguliers. À plusieurs reprises il avait ouvert la bouche, prêt à parler, inspiré à plein poumons, puis expiré dans un soupir de désolation. J’avais feint de ne rien remarquer, même si lui comme moi savions que je n’étais ni concentrée, ni efficace. L’heure avait duré une éternité. Et dire qu’il m’en restait encore six autres après celle-ci. 

Une paire de minutes avant que ne débute la vingtième heure de la journée, il avait ouvert la bouche pour la énième fois, mais cette fois-ci ce n’était pas en vain.

- Puisque vous ne préférez pas que je vous raccompagne Mlle Villard, je vais vous laisser quelques minutes d’avance.

Sur le moment, je n’étais pas certaine d’avoir bien saisi le sens des ses mots. Pourquoi n’avait-il pas simplement dit : « je vais vous laisser y aller quelques minutes en avance » ?

Désormais, toutes les pièces du puzzle s’imbriquaient parfaitement : sa proposition de me raccompagner, les minutes « d’avance », la moto rouge sur le trottoir, et lui… assis nonchalamment à MA table. En me libérant quelques minutes avant 19h, il ne voulait pas m’aider à limiter les dégâts. Il me laissait simplement une chance d’arriver avant lui au bar. Comment avait-il pu imaginer une seule seconde que mes jambes surpasseraient son bolide ?

Pendant un court instant je ne sus pas si je devais me réjouir de le voir ici, perdre les pédales, crier, ou bien me moquer de lui et de ses « tactiques » puériles. Ne sachant que faire, je me pinçai. Je n’étais définitivement pas dans un rêve et je ne pouvais par conséquent pas me laisser porter par mon imagination ; il fallait agir. Je décidai donc de l’ignorer profondément et me dirigeai d’une démarche assurée, devant les yeux ébahis de Cyprien, vers le comptoir. Mon stratagème aurait fonctionné s’il ne m’avait pas interceptée, de la manière la plus inattendue qu’il soit.

- Salut Mélodie. Tu te joins à moi ?

Je me retournai et fis mine de chercher des yeux la Mélodie qu’il avait interpellée. Sauf que personne d’autre à part moi -et Cyprien- ne semblait avoir remarqué ce client qui sirotait un whisky. J’étais bel et bien l’unique Mélodie qui était invitée à se joindre à lui. En rêve ! Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’ailleurs de m’appeler par mon prénom ? Et surtout, de me tutoyer ? Cela ne pouvait pas faire plus de dix minutes qu’il était là, il était donc encore sobre. À l’inverse de samedi soir, rien ne justifiait son comportement amical et ma tolérance était au plus bas. Cyprien me rejoignit derrière le bar et m’assaillit de questions. Antoine observait notre discussion avec grand intérêt, et j’étais prête à parier qu’il tentait de lire sur nos lèvres.

- Cyprien, le suppliai-je, je vais avoir besoin de ton aide…

- Tout ce que tu veux poupée.

- S’il-te-plaît, prends moi dans tes bras, et donne l’impression d’être le plus affectueux possible. Ça pourrait le dissuader, car il est persuadé que je te… enfin que je suis…

Il ne me laissa pas le temps de terminer ma phrase et avant que je ne m’en aperçoive, j’étais déjà collée contre lui. 

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Commentaires
I
Elle se tape lequel ???????
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