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Encore une heure
12 septembre 2013

Chapitre 24

 

Je relevai péniblement la tête. Des chaussures en cuir noir, un jean aux teintes foncées, c’était forcément lui. Il m’avait suivie, il m’avait couru après. Jusqu’à devant chez lui, devant chez sa femme, et devant chez ses enfants. Son humiliation en public ne l’avait surement pas calmé -bien au contraire-, et maintenant il venait réclamer son dû. Mon rythme cardiaque venait à peine de s’apaiser, qu’il remonta subitement en flèche. Après mon acte héroïque dans le bar, se résumant à un accès de colère et d’insolence, je ne me sentais plus de taille à résister. Si bien que je tournai les talons dans l’optique de changer de trottoir.

- Hé Mél ! Qu’est-ce qu’il y a ?

Je ne bougeai pas, si bien que la voix masculine persista et me demanda ce que je faisais là. Bonne question… Très bonne même !

- Je heu… articulai-je péniblement en me retournant.

Damien était à peine moins essoufflé que moi.

- Je me promenais, repris-je plus sûre de moi, et toi tu fais quoi ? Un footing à la tombée de la nuit, pour être certain d’attraper une pneumonie noire aiguë ?

- Très drôle ! Ok Mél, jouons la carte de la franchise. De toute façon, tu l’aurais appris tôt ou tard. Je te dis pourquoi je suis ici à cette heure-là, et toi tu m’expliques ce que tu faisais plantée devant cette maison, comme si tu avais vu le fantôme de Louis XIV ? Je suis curieux de savoir ce qui t’hypnotisait ainsi.

 - Ça marche, mais pas un mot aux autres. À personne. Per-sonne, compris ?

- Oulala, se moqua-t-il, je me demande bien quel genre de bombe tu vas me balancer à la figure. Tu es un transsexuel ? C’est l’ancienne maison du président de la république ? Tu es adoptée et tes parents biologiques habitent ici ? Ou alors… Tu as vraiment vu le fantôme de Louis XIV devant la porte d’entrée ?

Était-ce une bonne idée de me confier à un tel clown ?

- M.Challon habite ici, lâchai-je finalement.

- Ah ?! Et... ? Mais bien sûr, pourquoi n’y ai-je pas pensé avant ? Tu es venue rendre ton rapport de 10 pages sur la mondialisation, en plein milieu de la soirée ? Qui sait, tu pourrais peut-être arrondir ta note en… dit-il en ouvrant sa veste et en envoyant un baiser se perdre au milieu des tourbillons d’air glacé.

- Arrête, t’es con !

Clown peut-être, mais il avait réussi à me redonner le sourire.

- Bon allez, vas-y commence toi, l’encourageai-je. Et après je te dirais pourquoi je suis ici.

Il sourit, mais ne parla pas. Damien semblait hésitant, c’était bien la première fois. Sa seule réponse fut de sortir un objet brillant de sa poche de jean. Je reconnus la forme et le logo immédiatement : Durex.

- J’étais au motel là-bas, avoua-t-il en pointant une enseigne de travers qui clignotait irrégulièrement et affichait «Hôte  P aisir  ». Les circuits électriques, les lettres « l » et la météo faisaient à priori mauvais ménage.

- Quoi ? Tu es allé au motel pour te taper une p… ?

- Oui, une p… une Priscilla.

L’information n’avait pas dû encore traverser l’ensemble de mes synapses, car la seule chose que je trouvai à lui répondre fut :

- Tu compares Pris à une pute ?

- Non, mais ça commençait par la même lettre, alors je trouvais ça drôle !

- Mais tu trouves toujours tout drôle toi, t’es dingue ! Et depuis quand tu couches avec Priscilla ? Elle ne m’en a même pas parlé cette… Arrête de rire, crétin !

- Depuis ce soir, répondit-il fièrement.

- Ça va, elle s’en tire bien.

- Ouais, et moi aussi je la t…

Quoi qu’il ait voulu dire de grossier ou pire, je ne lui laissai pas le temps de terminer sa phrase. Mon poing s’écrasa contre son menton. Bien contente d’effacer ce sourire pervers de son visage, j’en profitai également pour ajouter à ma frappe, toute la rage accumulée contre Antoine. Je le laissai sur le trottoir, plié en deux, crachant du sang et des insultes, et m’enfuis pour la deuxième fois de la soirée. Je ne me retournai pas et des larmes se mirent à me brouiller la vue.

Ma main formait toujours un poing quand je ralentis le pas, une demi-douzaine de minutes plus tard. Je m’adossai à la grille d’une bâtisse encore plus imposante que celle d’Antoine. Du revers de la manche, j’essuyai péniblement les larmes qui avaient coulées le long de mes joues et commencées à former des glaçons. La douleur m’arracha un petit cri, puis j’hurlai à pleins poumons jusqu’à ce qu’un chien réponde à mes lamentations par un aboiement. Comment avais-je pu aller chez lui une fois la nuit tombée ? Ressentir de la haine contre un (non… deux) ami(s) ? Le frapper si violemment ? Comment en étais-je arrivée là ? J’avais même oublié l’anniversaire de ma frangine…

Ce qui semblait ne pas être le cas du reste de ma famille. Les lumières du salon étaient allumées, alors qu’habituellement nous étions à table à cette heure-ci. Je voyais que derrière la vitre, Harmonie s’agitait.

- Ah ! Nous t’attentions ma chérie, me dit ma mère alors que je n’avais pas encore les deux pieds à l’intérieur du sas d’entrée.  Dépêche-toi ma puce, le champagne est servi.

Harmonie ouvrit ses cadeaux : un diffuseur d’huiles essentielles et le dernier Nokia. Je souriais pour faire bonne figure, mais mon esprit était clairement ailleurs : le coup de poing de Damien, la gifle d’Antoine, le motel et Priscilla, la tentative de baiser d’Antoine, la maison et les enfants d’Antoine, le geste de Cyprien, la moto d’Antoine.

Le truc d’Antoine, les machins d’Antoine, etc. d’Antoine… mais réveille-toi ma vieille, ta meilleure amie s’envoie en l’air avec ton meilleur ami !!! J’étais allongée sur mon lit, essayant péniblement de rassembler mes idées. Je n’avais pas jugé utile d’accorder plus d’intérêt au repas d’anniversaire de ma sœur qu’à un mouchoir usagé au milieu d’un cyclone. Et le pire c’est que je n’avais même pas le sentiment que je regretterai plus tard d’avoir jugé cette fête familiale sans importance.

Il n’y avait désormais plus l’ombre d’un doute : j’intéressais Antoine. Mais pour quoi ? Me repousser au dernier moment et me ridiculiser ? S’amuser ? Me faire payer mon insolence en cours ? Tromper sa femme ? La réponse la plus évidente refusait de se matérialiser clairement dans mon esprit.

Le vibreur de mon téléphone me fit sursauter. En expirant je remarquai que mon cœur battait à tout rompre. Stress, peur, regrets, tristesse, ou encore autre chose ? Je n’aurais su le dire. Et le message de Priscilla ne m’apporta aucune réponse, aucun réconfort.

« Putain ! C’est quoi ce bordel ? »

La suite ne se laissa pas désirer.

« Dis-moi que c’est une blague stp !? On se voit demain. »

« C’en est pas une, j’ai déconné. Tu peux m’appeler ? »

Lorsque 2 :00 s’afficha sur mon réveil, je me rendis à l’évidence : Priscilla ne me téléphonerait pas. L’instant d’une soirée j’avais tout perdu, plus ou moins volontairement : un ami, une moitié, une sœur et un… un… un quoi ? Prof, ami, amant, ennemi ?

Je n’éteignis pas mon téléphone, dans le doute, mais je le regrettai quand à 6h il sonna pour me rappeler que dans 12h avait lieu la réunion parents-professeurs. Maudit agenda, si seulement j’avais pensé à mettre le silencieux… Maudite réunion, si seulement elle pouvait être annulée ! Maudite vie, si seulement elle pouvait changer ; entièrement.  Résultat : impossible de fermer l’œil jusqu’à ce que mon réveil annonce le début de la pire journée de ma vie.

Quelle fut ma surprise de découvrir que l’enfer ne commença pas là où je l’imaginais, à savoir auprès de Priscilla et Damien. Le cauchemar me « tomba » littéralement dessus quelques centaines de mètres avant la grille du lycée.

- Mélodie, s’il vous plait, laissez-moi m’expliquer pour hier soir.

Il me tira brusquement par le bras et m’entraîna, d’accord ou pas d’accord, derrière une petite chapelle. Ses yeux étaient aussi rouges que sa moto et des cernes couraient quasiment jusqu’à ses oreilles. Mauvaise nuit ? Parfait, on est deux !

- Lâchez-moi, demandai-je sèchement.

- Mélodie, s’il te plait, si tu acceptes que je t’explique tout, ça sera plus simple et tout se terminera bien. Mais si tu t’entêtes et préfères encore fuir lâchement, je ne pourrais pas me mettre de ton côté.

- De mon côté ? J’hallucine ! Vous n’êtes pas en train de choisir votre équipe de balle aux prisonniers ! Et je n’ai pas envie d’en savoir plus sur vous ou sur ce que vous pensez. Ce que je sais me suffit amplement. Laissez-moi partir, je vais être en retard en cours.

Je n’eus pas besoin de me débattre, il lâcha instantanément ma main. Je le regardai et ce bref échange m’offrit une certitude : il était triste.

- Mélodie, si tu tars, tout est fini…

Comme si ça avait commencé, songeai-je. C’était un mensonge, je devais l’admettre.

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