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Encore une heure
7 juin 2013

Chapitre 19

 

Je regardais mon reflet dans un miroir. Je m’étais donnée beaucoup de mal avec mon brushing ce matin, mais cela en valait la peine. Lorsque que la sonnerie avait annoncé la fin des cours, j’avais filé aux toilettes pour me refaire une beauté. Même si j’avais dû m’y reprendre à trois fois, mon maquillage était désormais impeccable. Innocemment provocateur : parfait pour la situation. Ma robe en laine aux teintes bordeaux, offrait une vue imprenable sur ma poitrine et sur mes jambes d’une pâleur hivernale. J’avais opté pour l’élégance, mais le regrettais amèrement lorsque je me trouvais à l’extérieur et que le froid mordait ma peau nue. Si seulement j’avais eu la brillante idée de mettre une paire de collant, quitte à l’enlever au moment de la colle avec Antoine !

Tandis que je toquai à la porte, une tâche noire à sa gauche m’attira l’œil. Pendant une fraction de seconde, j’eus l’impression que l’écriteau « 203 » me sautait au visage et m’étranglait ; ma gorge me brûlait. Pour me redonner du courage, je fermai mon blouson jusqu’au menton et enroula judicieusement deux écharpes autour de mon cou : rien ne laissait présager ce qu’il y avait en dessous, c’est-à-dire… pas grand-chose. Lorsqu’un « oui ? » traversa la porte, je m’équipai de ma plus puissante arme et entrai. Avez-vous déjà essayé de dire « bonjour » tout en affichant un sourire-dents-blanches ? Des années d’entrainements, croyez-moi.

Mon plan tomba à l’eau : lorsque je franchis le seuil de la classe, il me montrait son dos. Je me dirigeai vers ma place pour prendre ma chaise, mais à mi-chemin il m’interrompit.

- Ne vous embêtez pas. Et ne prenez pas la peine de vous déshabiller.

- QUOI ??!!! m’écriai-je intérieurement. Avait-il vraiment décidé de tout foutre en l’air ce soir ou quoi ? Le sourie, et maintenant la robe !

- On sort, ajouta-t-il.

- Quoi ?

Cette fois-ci, ma voix n’avait pas seulement résonné dans ma tête. Je regrettai immédiatement d’avoir exprimé ma surprise avec tant de conviction.

- On sort Mlle Villard, cela vous pose-t-il problème ?

Heureusement que je m’étais appuyée contre une table, sinon je me serais écroulée comme un légume après plusieurs années d’hôpital. Il me proposait de sortir ? Dans de nombreux livres ou films, les héros se pincent pour savoir s’ils rêvent ou non : et même si je n’étais pas l’héroïne d’une histoire, il était temps de tester cette technique ancestrale. Mais comment pouvais-je me pincer alors qu’aucun de mes membres ne me répondaient ? Presque aucun : ma langue était en parfait état de marche !

- On sort ? Ah cool ! On va où ?

Mon enthousiasme semblait le combler ; il rayonnait.

- On sort de cette salle de classe, pour aller en salle informatique. Je n’ai pas pris mon portable aujourd’hui, répondit-t-il calmement. Et puis j’ai aussi besoin de travailler sur un ordinateur, on aura chacun le notre.

- Ah… heu, d’accord, articulai-je péniblement.

C’était la monnaie de la pièce pour le « rendez-vous » d’hier midi. Je l’avais bien méritée, et j’applaudis en silence sa vengeance. Ces dernières minutes entrèrent néanmoins directement dans le palmarès des « pires hontes de ma vie ».  J’étais aussi écarlate que son sourire éclairait son visage.

- Mais « MapDraw 3 » est installé sur les ordinateurs de la salle info ? demandai-je après avoir repris mes esprits.

- Oui, je l’ai fait à la pause de 16h, ne vous inquiétez pas, Mlle Villard. On y va ?

- Mais pourquoi n’avez-vous pas pris votre ordinateur ? insistai-je alors que nous déambulions dans les couloirs du lycée. La salle dans laquelle nous nous rendions était dans le bâtiment adjacent au notre.

- Vous voulez vraiment que je vous le dise ici ? répondit-il faiblement en s’approchant de moi.

- Ça changera quoi de me le dire quand nous serons arrivés ?

- Il n’y aura plus personne pour surprendre notre conversation, dit-il en pointant du doigt un groupe d’élève qui trainait dans la cours.

- Dans ce cas…

Je ne terminai pas ma phrase, et le reste du trajet s’effectua dans le silence le plus total. Lorsque nous arrivâmes au niveau de la salle, il sortit un trousseau d’environ trente clés. Il en testa quelques unes avant de trouver la bonne. Puis, lorsque que nous fûmes à l’intérieur, il referma la porte à double tours derrière nous. Je me gardai bien de lui demander pourquoi. Je posai mon sac à côté du poste qu’il m’indiqua du doigt, et pressai le bouton « Power » de l’unité centrale. Je dénouai lentement mes écharpes et enlevai mon blouson avec la grâce et l’agilité d’un top model. Comme prévu, il n’avait d’yeux que pour moi. Le mot de passe demandé sur l’écran pouvait bien attendre… Lorsque mon petit numéro fut terminé, il s’assit devant l’ordinateur à côté du miens. Il semblait étourdit. À moins que mon imagination ne me joue des tours, dans ce cas mon égo en prenait un sacré coup ! Je ne lui laissai aucun répit et demandai :

- Bien, maintenant vous pouvez m’expliquer pourquoi vous n’avez pas préféré prendre votre ordinateur ?

- Je vous ai dit que j’avais également besoin d’un ordinateur.

- Mais encore… ? m’impatientai-je.

- Je ne voulais pas vous laisser l’opportunité de fouiller plus en détail dans mes affaires personnelles. Non pas que j’aie quelque chose à cacher, mais ce n’est pas plaisant de se faire espionner à son insu.

- En parlant de violation de la vie privée, comment avez-vous obtenu mon numéro de téléphone ? Cyprien je suppose ?

Il ne répondit pas.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, Mlle Villard. Et s’il-vous-plaît, lorsque vous posez une question, ayez au moins la décence d’attendre la réponse complète avant d’en poser une autre. Cela s’appelle la politesse.

- Comment ?

- J’ai dit : cela s’appelle la politesse.

- Je vous ai parfaitement entendu M.Challon. Je voulais dire : comment l’avez-vous eu ? Mon numéro.

- Cyprien en effet. Il ne faudra pas que j’oublie de lui filer un pourboire la prochaine fois que je ferai un tour dans son bar. Même si je pense que ça ne sera pas de si tôt. Maintenant, mettons-nous au boulot.

Cette dernière phrase mit un terme à la discussion, et pendant plus d’une demi-heure aucun de nous deux n’ouvrit la bouche. Puis d’un coup, il s’affala contre le dossier de son fauteuil et se tourna vers moi pour demander :

- L’heure de jeudi,  que l’on ne pourra pas faire à cause de la réunion, j’aimerais qu’on la reporte à demain, qu’en dites-vous ?

- Heu… les mercredis soir je travaille au Texas’ Street de 18h à 22h.  

- Exceptionnellement vous commencerez votre service à 19h. Je peux appeler votre patron pour éclaircir la situation, si besoin. Ou si vous préférez, je peux demander l’autorisation à vos parents de déplacer cette heure de colle…

-  Si vous voulez leur numéro de téléphone demandez-le-moi directement, je doute que Cyprien l’ait.

- Si vous voulez passer pour plus maline que vous ne l’êtes, je vous conseille d’arrêter tout de suite, je doute que cela vous soit profitable Mlle Villard, rétorqua-t-il.

- J’en prends bonne note… monsieur Challon, dis-je en insistant sur son nom.

Il esquissa un sourire, mais détourna rapidement les yeux et replaça machinalement ses lunettes sur son nez. J’avais remarqué qu’il faisait ça lorsqu’il se trouvait dans une situation embarrassante. 

- Et donc, pour demain ? demanda-t-il après plus d’une minute.

- Ai-je vraiment le choix ? soupirai-je.

- Pour une fois, vous faites preuve de bon sens. La réponse est bien évidemment « non ».

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Commentaires
A
Je plussoie Lanceur d'oeuf. (Grâce à qui, soit dit en passant, j'ai la chevelure brillante puisque le jaune d'oeuf -c'est bien connu- est bon pour la chevelure.)
L
Ah ben enfin !
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