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Encore une heure
31 mai 2013

Chapitre 16

 

Je me levai, attrapai mon blouson posé sur la banquette d’à côté et en sortis le portefeuille. Antoine suivit du regard chacun de mes mouvements mais ne dit rien. Puis il soupira, posa ses coudes sur ses genoux et enfouit sa tête dans ses mains. Je posai la pièce de maroquinerie sur la table devant lui, m’assis et profitai que son visage soit caché pour commencer. Le mélange de peur, honte et alcool me retournait l’estomac ; je déglutis péniblement.

- C’est moi qui l’avais… Je vous l’ai pris jeudi soir, lors de ma première heure de colle. Vous m’exaspériez et du coup j’ai…

- Vous volez l’argent et les papiers de tous les gens qui vous énervent, Mlle Villard ? beugla-t-il en relevant la tête. Ses yeux respiraient l’arrogance et ses lèvres tremblaient de fureur.

- En fait, je ne comptais pas le garder. Mais il dépassait de votre poche, et en plus de m’avoir irritée vous me rendiez curieuse. Je voulais en savoir plus sur vous, mais à chacune de mes questions vous m’envoyiez gentiment balader. Puis quand vous êtes sortis de la salle, ça a été plus fort que moi. Au départ je voulais juste regarder votre carte d’identité, connaître votre âge, vos origines… Puis vous êtes revenu si vite que je n’ai pas eu le temps...

- Oh je suis vraiment désolé d’être revenu trop vite, me coupa-t-il en riant nerveusement. Mais maintenant je suppose que c’est bon, vous avez eu le temps d’apprendre par cœur mes date et lieu de naissance, mon numéro de carte bancaire, de sécurité sociale ? Et il semblerait que vous soyez aussi tombée « par hasard » sur une photo. Et que par ce même « hasard » vous ayez déduit que Nana signifiait Marina ?

- P-pardon, je…

- Vos conclusions sont stupéfiantes Mlle Villard. Si seulement vous faisiez preuve de la même vivacité d’esprit en cours, cela éviterait à vos notes de chuter en pic, à vos professeurs de devoir vous coller, et par la même occasion de se faire voler leurs effets personnels. Vous n’êtes qu’une petite…

Il ne termina pas sa phrase, et je ne l’y encourageai pas. Il saisit d’un geste rageur son portefeuille, l’ouvrit et tomba nez à nez avec mon mot. Il chiffonna le post-it, et me le balança au visage. Un de plus, pensai-je en regardant la boule jaune au creux de mes cuisses.

- Je vous verrais en cours, Mlle Villard. Nous aurons une discussion sérieuse, dans un lieu et à un moment plus approprié.

Son ton dur et son expression de dégout me glacèrent le sang. Antoine prit ses affaires, et partit aussi rapidement qu’il était apparu en ce début d’après-midi, à l’entrée du bar. Il m’abandonna au milieu d’une salle presque vide, avec pour seule compagnie, ma culpabilité, de pathétiques regrets, une humiliation indescriptible et quelques hommes ivres. Mais à peine la porte avait claqué que Cyprien me fonçait dessus.

- Putain Mélo, c’est quoi ce bordel ?

- Hé, ça va faire deux fois que tu me sors un combo de gros mots dans la même soirée.

- Et toi dans la même soirée, tu t’es pissée dessus car ton professeur d’histoire-géo qui t’a collée était ici, et quelques heures et verres plus tard tu étais à deux doigts de l’embrasser ! Tu m’expliques ?

Pourquoi ce soir, tout le monde me demandait des explications que je ne pouvais -ou ne voulais- pas fournir ? Pourquoi quand j’étais avec Antoine j’avais des comptes à rendre à propos de Cyprien, et inversement ? Comment cette soirée avait pu déraper à ce point ? Je ne voyais qu’une seule explication.

- Je pense que c’est l’alcool… dis-je à demi-mot. Je ne contrôlais pas vraiment la situation, tout s’est passé trop vite. On a discuté, on a rigolé, on a chahuté, puis tout d’un coup il était à quelques petits centimètres de moi. Avec l’alcool ma vigilance a dû faiblir et je… je…

- Mélo, s’il s’est approché si près de toi, il y a forcement une raison. Tu as surement fait quelque chose qui laissait sous-entendre que… ! Parce qu’à voir sa réaction à l’instant, il semblait tout aussi lucide que moi !

- Merci de me soutenir Cyprien, soupirai-je.

- Tu n’as pas l’air de te rendre compte de ce que vous avez faillit faire…

- JE ME RENDS PARFAITEMENT COMPTE ! m’énervai-je. Pas besoin d’en rajouter, s’il te plait.

- OK, en en discutera plus tard, je te raccompagne chez toi.

Connaissant mon patron, il ne s’agissait pas d’une proposition, mais d’un ordre incontestable.

- Je ne rentre pas à la maison, je vais chez Pris, répondis-je simplement.

- Ça ne change rien. Laisse-moi tout boucler, foutre les pochetrons à la porte, et on y va.

En chemin, j’essayai d’appeler Priscilla. Je savais qu’elle ne coupait jamais son téléphone, elle voulait être joignable à tout moment de la journée ou de la nuit. Grand mal lui fasse. Les dix sonneries précédant sa voix préenregistrée, signifiaient soit qu’elle dormait profondément soit que mon appel à 02:38 du matin dépassait les limites de notre amitié. Je fis sonner son téléphone de nouveau en espérant qu’elle comprenne que mon appel était une question de vie ou de mort. En rentrant chez moi à cette heure si tardive, si je me faisais attraper, je ne risquais sans doute pas la mort, mais assurer ma survie n’était pas gagné d’avance non plus. À la deuxième sonnerie de mon troisième appel, elle décrocha :

- Hummm… .

- Ouais Pris, c’est moi, Mél !

- Hummm… répéta-t-elle, partiellement réveillée.

- Pris ! Je vais avoir besoin de toi.

- Encore ? râla-t-elle. Tu sais que je ne t’aime pas ?

- Oui, je sais ma chérie. Allez, juste pour ce soir, dis « oui », s’il te plait. Sinon je suis morte… la suppliai-je.

- D’accord, d’accord, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Mais avant, raconte-moi ce qu’il s’est passé. Et explique-moi pourquoi tu as besoin de mon aide à … 2 heures 41 ?!

- Je te dirais tout une fois que je serais chez toi, c’est promis.

- Chez moi ? s’exclama-t-elle.

- Heu, oui en fait c’est pour cela que je t’appelle. J’ai besoin de rester chez toi cette nuit. Je suis en chemin là.

- Tu peux rester chez moi si tu veux poupée, me glissa Cyprien. Mais je pense que maintenant, ce n’est plus moi que tu voudrais avoir dans ton lit. (Je le foudroyai du regard) Enfin je voulais dire… je comprends que tu préfères dormir avec Priscilla qu’avec moi, se défendit-il sans cacher son ironie ni son air amusé.

L’idée de « dormir » avec Cyprien m’enchantait bien plus qu’il ne l’imaginait. Le froid de cette nuit de décembre se glissait sous mon blouson, mais il n’était en rien responsable des frissons qui parcouraient mon corps. Pour une nuit avec Cyprien, j’aurais pu vendre -même offrir- n’importe quoi ou n’importe qui. Une voix féminine me tira de mes rêveries.

- T’es avec qui Mél ? T’es où ?

- Ne t’inquiète pas, je suis avec Cyprien. Il m’accompagne jusqu’à ta maison, il nous voulait pas me laisser seule, vu l’heure, vu mon état d’ébriété et surtout vu… vu les circonstances quoi ! On peut dire que je suis émotionnellement choquée. Bref, on sera là d’ici 5-10 minutes.

- OK, ça marche. Je vais t’ouvrir la porte, n’oublie pas de la refermer à clé derrière toi, et rejoins-moi dans ma chambre. Et surtout aucun bruit en passant devant la chambre de Corentin. A tout de suite Mél !

Nous marchâmes en silence jusqu’à chez elle. Arrivés au pied de la porte, il me prit les mains et les pressa délicatement.

- Tu vas lui dire quoi à Priscilla ? demanda-t-il doucement.

- J’en sais rien, je suis complètement perdue, avouais-je le regard dans le vide.

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