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Encore une heure
15 juillet 2013

Chapitre 23

 

M. et Mme Chalon, et leurs enfants. L’idée qu’il puisse draguer une minette alors qu’il avait femme me dégoutait déjà. Mais l’idée qu’il puisse être marié et avoir plusieurs enfants me répugnait davantage. Il avait essayé de m’embrasser, en ayant délibérément choisi le lieu et le spectateur. Qu’il puisse être jaloux de Cyprien, je pouvais lui accorder : n’importe quel homme avec les yeux en face des trous rêverait de lui ressembler. Mais que je puisse l’intéresser, cette fois, j’en doutais. Une multitude de questions sans réponse accompagnaient mes pas hésitants. Je marchais tête baissée, l’esprit embrumé, quand une silhouette sortie de nulle part se dressa devant moi.

- Mélodie ?

* * * * *

Non mais pour qui elle se prend cette fille ? Me juger, me voler, me mentir, me manquer de respect, mais surtout… me repousser ET m’abandonner ! C’est le bouquet. Je n’en revenais pas, et restais penché au dessus de la table comme un demeuré, incapable de bouger. C’est un coup de genou dans le dossier de ma chaise qui me remit les idées en place.

- Putain mec, tu fous quoi là ? demanda Cyprien, visiblement choqué.

- Là ? Je bois un whisky, répondis-je fièrement en lui tendant mon verre vide.

- T’es sérieux ?

- Heu… en fait non. Je ne bois pas un whisky mais je commande un autre whisky !

- Je vais t’éclater la tronche !

Et cette fois, il s’énerva pour de bon. D’un geste rapide il retroussa ses manches et se jeta sur moi tel un fauve affamé. Avant qu’il ne me saisisse par le col, j’eus le temps de croiser les bras devant mon visage et de protester :

- Oh, oh ! On se calme ! Tu veux faire fuir tous tes clients ?

- Tu as bien fait fuir mon employée, connard ! dit-il en reculant de quelques centimètres.

Sans réfléchir, je posai la question qui me brûlait les lèvres depuis que je les avais « surpris » -je doutais encore qu’ils aient préféré faire ça dans l’intimité- dans les bras l’un de l’autre.

-  Tu l’aimes ?

- Tu te crois dans une cour de récréation où il est de bon goût de se chamailler pour la plus jolie fille de l’école ?

- Et à priori je ne suis pas le seul… Ce n’est pas moi qui t’aie sauté au cou !

- Ouais excuse-moi, c’était puéril, reconnu-il gêné.

- Pour une fois, on est d’accord. Alors, tu l’aimes ? insistai-je. Cours de récré ou pas, je m’en fiche, réponds-moi simplement.

- Pourquoi cela t’intéresse tant ?

- Parce que je crois bien qu’elle, elle t’a déjà mis le grappin dessus. Vrai ?

Il sourit puis fit mine de réfléchir. Ou alors, il réfléchissait vraiment, mais je soupçonnais que la réponse n’ait pas besoin de mûres réflexions.  Celles-ci prirent pourtant plusieurs dizaines de secondes, laps de temps durant lequel je remontai au moins trois fois les lunettes sur mon nez. Fâcheuse habitude !

- Faux, finit-il par lâcher. De toute façon, elle est mon employée. Et puis, elle est bien trop jeune pour quelqu’un de mon âge.

J’avais beau être naïf parfois, je savais que cette dernière remarque m’était directement adressée. Merci du rappel, ça fait chaud au cœur de voir que l’on est soutenu par ses pairs. Je souris en repensant au proverbe débile dont usait encore et encore un ami d’université : « Tant que ça a des poils, c’est légal ». Mais je craignais que Cyprien n’apprécie pas la référence. Comme je ne répondais pas, il enchaina :

- Franchement, huit ans d’écart tu ne trouves pas que c’est limite? Imagine, quand elle aura mon âge, moi j’aurai 32 ans. Je serai vieux !!!

Puis il continua à dire des choses sans intérêt, il parla de la différence d’âge, de milieux sociaux, me raconta comment s’étaient rencontrés ses parents. Je ne suivais la « conversation » que d’une oreille, faisant tourner mon verre vide entre mes doigts, jusqu’à ce qu’il pose la question fatidique :

- …et toi, tu l’aimes ?

-C’est mon élève, je ne peux pas l’aimer. Enfin pas avec un grand A.

- Alors quoi ? Tu veux juste la sauter ?

- C’est à ton cou que je vais sauter si tu continues. Je n’ai aucune intention de la sauter, culbuter, ou tout ce que tu veux d’aussi vulgaire et malsain. Je suis son professeur et jamais je ne toucherai à un seul de ses cheveux.

Je voulais pourtant toucher ses cheveux. Passer ma main dans ses mèches blondes pour les écarter de ses prunelles. Je les aurais les glissés derrière ses oreilles puis délicatement caressé le haut de son cou du bout de mes doigts. Ensuite, j’aurais…

- Hé mec ! intervint Cyprien en tapant une nouvelle fois contre le dossier de la chaise. Il me prit le verre des mains et s’éloigna. J’avais la tête penchée en arrière, les yeux roulant sous mes paupières closes. En les rouvrant, la réalité m’inonda : j’étais seul à cette table, Mélodie s’était débinée après m’avoir flanqué une droite majestueuse -et méritée-. Elle n’était pas simplement partie un peu furieuse, elle s’était enfuie à toutes jambes, poussée par la colère, voir la haine.

Après un certain nombre de verres de whisky, je n’avais pas compté mais l’addition en témoignait, Cyprien me raccompagna jusqu’à la porte et m’interdit de monter sur ma moto. Je rentrai donc en marchant à côté d’elle. Ce n’était pas moi qui la ramenais à la maison, mais elle qui m’aidait à me tenir debout. Au fur et à mesure que le froid s’installait dans mes entrailles et que mon sang se gelait, l’alcool jouait son rôle. Il me réchauffait, ou tout au moins m’offrait une sensation de chaleur. En contrepartie, je sentais mon corps et mon cœur tanguer un peu plus à chaque pas. Il est était presque minuit lorsque je m’affalai, transi, sur le lit de mon petit appartement. Monter au cinquième étage -sans ascenseur bien sûr- avait été un vrai défi. J’aurais peut-être dû écouter ma mère et rester vivre chez mes parents « encore quelques mois », au moins ma chambre était au rez-de-chaussée.

La douche s’éternisait, la buée dans la salle de bain s’épaississait et les effets du whisky s’estompaient progressivement. Avant de me coucher j’eus tout de même la présence d’esprit de consulter mon agenda du lendemain. Il était hors de question que je mette le réveil plus de trente minutes avant le début des cours. Aïe, le jeudi je commençais malheureusement à 8h. Une croix tracée au marqueur noir sur le bas de la page attira mon regard : « RPPT ». La réunion parents-professeurs des terminales, demain. Il ne manquait plus que ça… Affronter Mélodie était une chose. Affronter ses parents en était une autre. 

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