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Encore une heure
3 mai 2013

Chapitre 8

 

Aux alentours de 22h30, j’étais de retour chez moi. Comme tous les mercredis soir, mes parents étaient installés sur le canapé, devant une série policière. Sans leur prêter attention, je montai les escaliers, en direction de mon nid douillet.

- Ma chérie, c’est toi ? m’interpella ma mère du salon.

- Oui, je vais me coucher, bonne nuit.

- Tu peux venir voir, deux petites secondes, s’il te plait.

Je lâchai mon sac de cours dans les marches, et redescendis l’escalier d’un pas lourd. Je m’effondrai dans le fauteuil, de l’autre côté d’une petite table en hêtre, tandis que le générique de la série défilait sur l’écran. Ma mère me fixait en silence, les sourcils froncés et les narines en alerte. Même lorsqu’une expression de contrariété s’affichait sur son visage, elle rayonnait. Pour le plus grand bonheur de mon père, maman n’avait rien perdu de sa jeunesse. Je me demandais même parfois si mes rides n’apparaitraient pas avant les siennes.

Elle rassembla au creux de sa main, ses boucles blondes qui tombaient en cascade sur ses épaules, et me demanda :

- Tes amis du club de lecture continuent de fumer à l’intérieur ? Tu sens le tabac.

Cela faisait un an et demi que je travaillais au Texas’ Street, deux soirs par semaine, et mes parents ne se doutaient de rien. Persuadés que j’allais aux séances hebdomadaires du club littéraire, auquel ils m’avaient inscrite à mon entrée au lycée, ils me laissaient rentrer tard. J’y passais encore de temps à autres après le lycée, pour revoir d’anciens amis, et faire de nouvelles rencontres. Mais depuis quelques temps déjà, la lecture était le cadet de mes soucis. Mes parents continuaient naïvement à me donner chaque mois un budget pour acheter des livres. Ces derniers se transformaient généralement en alcool ou maquillage.

- Il fait plutôt froid le soir en ce moment, répondis-je, donc ils fument dans le hall. Et vu que je les accompagne pour discuter, mes vêtements prennent l’odeur. Mais ne t’inquiète pas, je vais de suite les mettre dans la machine à laver.

- Bonne idée, je la mettrai en route demain matin. Ça donne quoi tes rendez-vous, tu as pu en prendre ?

- Oui, oui, je les ai presque tous.

Sa question fit naître une angoisse soudaine, à laquelle je n’avais pas songée : la rencontre de Chalamangé avec mes parents -mais encore faillait-il que j’ai le courage de lui demander un rendez-vous. Allait-il mentionner mes dix heures de colles, et leur substitut ? À l’identique de l’année précédente, mes parents se préparaient sans doute à recevoir des remarques désobligeantes à mon propos, mais une telle sanction, flirtant avec mon renvoi… surement pas.

En me glissant sous la couette, je tentais de rassembler mes idées pour faire le point sur la journée et élaborer une stratégie d’attaque indispensable au lendemain soir. Envie, ou pas envie, je devais me mettre Chalamangé dans la poche !

Le lendemain matin, j’aggravais encore ma situation. Damien eut un éclair de génie en proposant rose pour le deux-pièces de Mme Deboulit, mais resta siliceux lorsqu’il eut l’opportunité d’interroger indiscrètement l’un de nous. Priscilla intervint ; elle lui souffla une idée, tout en me pointant du doigt. Je la fusillai et questionnai du regard : « qu’est devenu notre pacte stipulant qu’on s’épargnait mutuellement ? ». Je détournai cependant les yeux avant d’avoir reçu sa réponse muette. Plus aucun pacte, plus aucune alliance, plus aucun contrat ne pouvait faire foi : j’avais brisé sa confiance.

- Que s’est-il passé hier midi dans le bureau de M.Challon ? demanda Damien.

- Non ! répondis-je sèchement.

- Comment ça, non ? s’indigna Priscilla. Tu esquives la question. Tu sais bien qu’on n’a pas le droit de se débiner.

- Et toi, dis-je en m’adressant à Damien, tu sais bien qu’on n’a pas le droit de poser des questions dont la réponse n’est pas « oui », ou « non ».

- D’accord, d’accord, capitula t-il. Dans ce cas je reformule ma question, attends.

Il se tourna vers Priscilla. Le sourire complice qu’ils échangèrent me laissa perplexe. Que se passait-il entre ces deux là ? Je m’efforçai de patienter calmement pour ne rien laisser paraître. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine et je sentais la moiteur aux creux de mes paumes. Je savais déjà que, quelque soit la tournure de sa question, la réponse que je m’apprêtais à lui donner, ne plairait pas. À moi.

- As-tu, de manière honnête, réussi à échanger les heures de colle contre un rapport sur la mondialisation ? fini t-il par demander.

- Oui, dis-je sans hésiter.

- Ohhh, se lamenta Jimmy, ce n’est pas drôle.

Je vis dans le regard de Priscilla, qu’elle ne partageait pas sa déception. Je compris qu’elle avait continué à douter de ma franchise, jusqu’à maintenant. Et pour cause… Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle s’agrippa à mon bras et lança joyeusement :

- Je suis bien contente que tu aies pu t’en sortir si facilement. N’empêche que ça paraissait trop beau pour être vrai, j’avais du mal à y croire franchement!

Pour toute réponse, je rigolai et fis mine et m’exaspérer. Si jamais mes dix heures se passaient sans encombre, il serait toujours temps de lui avouer la vérité plus tard.

À 18h, lorsque la cloche indiqua la fin des cours, je prétextai devoir prendre un rendez-vous pour la réunion, avec Chalamangé. J’insistai en ajoutant que mes parents tenaient à ce que mon planning soit bouclé avant le week-end. Priscilla ne me posa pas de question, et déposa un bisou claquant sur chacune de mes joues.

- A demain Mélo. Bon courage pour Chalam’ !

Si elle savait à quel point j’avais besoin de ses encouragements. C’est les jambes tremblantes que je m’arrêtai devant la porte 203, fermée. Où était-il passé ? Pourquoi avoir proposé cet arrangement, s’il n’avait pas cours juste avant ? Je m’apprêtai à m’asseoir pour l’attendre, quand je songeai qu’il était peut-être déjà à l’intérieur. Je me mis sur la pointe des pieds et agrippa le rebord de la vitre, qui donnait directement dans la salle. Je me poussai sur le sol d’un coup sec, contracta mes abdominaux et tira sur mes épaules, pour tracter mon visage jusqu'à l’encadrement de la fenêtre. Mes yeux le trouvèrent immédiatement, et je faillis lâcher prise. Il était en train de déboutonner sa chemise.

L’occasion était trop belle, je ne pouvais la laisser filer. J’atterris souplement sur mes pieds, et fis irruption dans la salle. Surpris, il se figea face à moi, la chemise pendant dans sa main gauche. Les muscles de son torse et de ses avant-bras dessinaient de délicieuses courbes et se rejoignaient au niveau de ses larges épaules. Quelques poils épars traçaient une ligne directe allant du centre de sa poitrine jusqu’à la boucle de sa ceinture, en passant par le nombril. Après des secondes qui parurent des années, je réussi à détourner mon regard de son corps, plus robuste qu’il n’y paraissait. Mes yeux croisèrent les siens, et mon pouls s’accéléra -je ne pensais pas que c’était encore possible-. Ses joues rosirent, et sans me laisser le temps de prendre plaisir à sa gêne, il s’emporta :

- Mlle Villard ! Veuillez frapper à l’avenir.

- Bonsoir M. Challon, répondis-je bêtement, je me ferai une joie de vous aider.

- M'aider ? s'égosilla t-il en attrapant un t-sirt. Tu plaisantes, j'espère ?

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