Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Encore une heure
15 mai 2013

Chapitre 9

 

Ça y est, j’avais réussi. Il avait perdu son sang froid, et m’avait tutoyée. Ou bien avait-il jugé qu’après s’être montré torse-nu, les barrières professeur-élève n’étaient plus de rigueur. Je ne su que répondre, et il en profita pour se rattraper :

- J’avais prévu de vous apprendre le respect, mais je ne pensais pas devoir aussi vous apprendre la politesse élémentaire, Mlle Villard.

- Pardon, comme la porte était fermée, j’ai supposé que n’étiez pas encore arrivé, et comptais donc vous attendre à l’intérieur.

- Vous supposiez mal…

- Ce n’était pas évident que vous seriez là, et en train de vous… changer.

Il ne répondit pas, enfila un pull, en retroussa les manches jusqu’aux coudes et saisit une sacoche, dans laquelle devait très certainement se trouver son ordinateur portable. Puis, il se tourna vers moi :

- Après une journée de cours, et pour faire ce genre de travail, je préfère être à l’aise.  

- J’aimerai bien me mettre à l’aise moi aussi, ajoutai-je immédiatement.

Il fut si surpris, qu’il en lâcha la souris qu’il venait d’extraire d’une pochette, et me fixa, bouche bée.

- Enfin, je voulais dire… j’aimerais bien que vous me mettiez à l’aise.

Je cru un instant que sa tête allait se décrocher violemment de son cou, et compris qu’il y avait un malentendu. Avait-il réellement imaginé que je lui proposais de… moi… avec… avec lui ? Sérieusement ?! Avant d’aggraver la situation, je précisai :

- Enfin… vous comprenez, ça me gène que vous m’appeliez « Mlle Villard » sans arrêt. Je souhaiterais que vous utilisiez mon prénom, si c’est possible…

A priori, ma requête ne suffit pas à l’apaiser, et il tenta de dissimuler son embarras en s’accroupissant le long du bureau pour ramasser la souris.

- Je ferai des efforts quand vous en ferez, répliqua t-il finalement en se relevant.

Et comme pour répondre à ma provocation, il ajouta, en accompagnant ses paroles d’un geste de l’index :

- Ma-de-moi-selle Vi-llard !

Il retourna la souris et l’examina, comme s’il allait pouvoir diagnostiquer les séquelles de sa chute. Il ouvrit l’écran de l’ordinateur portable, le démarra, puis d’un coup de menton, il me désigna la première table face au bureau -qui était désormais la mienne-.

- Prenez une chaise et attendez bien sagement que l’ordinateur s’allume.

Je m’installai à côté de lui, et regardai distraitement les paramètres Windows défiler. Puis, une page noire apparut, et durant quelques secondes, me permit de distinguer nettement son visage dans le reflet de l’écran.

Sa large mâchoire contrastait avec son front étroit et ses lèvres fines. La couleur de ses iris, vagabondant entre le bleu foncé et le gris clair, rendait son regard unique et mystérieux. Des mèches blondes tombaient négligemment sur le côté droit de son visage. Sa coupe me rappelait Kian Egan du boys band Westlife. Depuis toute petite, lorsque mes yeux croisaient le portrait de ce groupe, dans le bureau de ma mère -leur plus grande fan, à ce que je sache-, je trouvais leurs coiffures toutes aussi démodées les unes que les autres. Mais curieusement, à cet instant précis, je du revoir mon jugement. Il fallait bien admettre que cette coupe vieillotte apportait une touche de folie au visage sérieux de mon professeur. Juste avant que l’écran n’affiche une nouvelle page, je le surpris à jeter un coup d’œil furtif en direction de mes cuisses, sur lequelles ma jupe noire remontait un peu trop facilement, à cause de mes collants. Refusant d’admettre de vive voix que je l’avais capté -cela signifirait admettre que je le dévisageais en douce-, je me contentai de l’avertir en croisant les jambes. Mon genou heurta le bureau, et je marmonai un juron entre mes dents.

- Pardon ? fit-il.

Je me demandai si ma grossiérté l’avais choqué, où s’il pensait réellement que j’avais tenté de dire quelque chose d’audible. Après tout, il avait en tête de m’apprendre les bonnes manières, et moi de ne pas me laisser faire -tout en me le mettant dans la poche, ambitieux comme projet, non ?-.

- J’ai dit : putain…

- Aucun mot de ce genre dans ma salle de classe, Mlle Villard.

Je ne répondis pas -mais hocha la tête- et nous restâmes silencieux jusqu’à ce qu’il double clic nerveusement sur l’icône « MapDraw3 ».

- Bon alors, vous lancez ce logiciel, m’indiqua t-il de l’index de la main gauche. Il est un peu long a se lancer, c’est normal…

Pendant que le logiciel chargeait tous les paramètres de démarrage, mon voisin tapotait de manière très rythmé sur le bouton gauche de la souris. De l’autre main il battait la mesure sur sa cuisse. Joue-t-il de la batterie, me demandais-je en apercevant les muscles de son avant-bras se contracter imperceptiblement sous sa peau claire. Un professeur d’histoire-géographie, musicien ? Pas possible. Lui ? Encore moins ! Ou peut-être violoncelliste à ces heures dans une maison de retraite. Mais certainement pas batteur dans un groupe de hard-rock !

Puis s’en m’en apercevoir, j’avais déjà posé la question :

- Vous faites de la musique ?

Il parut surpris un court instant, mais après s’être raclé la gorge il répondit, impassible :

- Je ne pense pas que ce soit le sujet du jour, Mlle Villard. Nous sommes ici pour travailler, pas pour raconter nos vies. Je ne suis pas votre chère ex-voisine de classe, donc abstenez vous de me parler, sauf si c’est pour des questions intelligentes. Clair ?

- Très.

Il m’exaspérait, je le détestais. Je détestais sa manière de me rabaisser constamment. Sa manière de me faire la morale. De me rappeler que j’allais être virée. Que j’étais trop bavarde. Trop insolente. Détestée.

Il avait décidé de me mener la vie dure, voire impossible, et je comptais bien me venger. Quelle que soit la méthode à employer ou le niveau auquel je devais tomber.

Alors qu’il m’expliquait les bases de MapDraw3, je me balançais sur ma chaise, et un objet foncé, dépassant de la poche de sa veste de costard, pendue au dossier de sa chaise, attira mon attention.

Un téléphone portable ? Trop gros.

Un Ipod ? Encore pire !

Une Nitendo DS ? Il est trop « vieux jeu » pour ça !

Un agenda ? Pourquoi pas…

Une blague à tabac ? Pas le genre à fumer.

Un portefeuille ? Bingo ! 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité