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Encore une heure
28 mai 2013

Chapitre 14

 

Quelle fut ma surprise de m’apercevoir qu’à l’inverse de moi, cette rencontre inattendue ne le surprit pas. Mais, il fallait se rendre à l’évidence : il n’avait rien à se reprocher, lui. Ainsi, il ne détourna pas le regard ou ne fit pas comme si nous étions des inconnus ; il me sourit et me salua d’un hochement de tête. Un curieux sentiment me parcourut lorsque je lui rendis son sourire. A cet instant, toute trace de peur s’était dissipée et j’eus l’étrange impression de sourir à un ami de longue date, se tenant à quelques mètres de moi, en jean, baskets et sweatshirt. Les barrières professeurs/élèves s’étant soudainement effondrées, j’arrivai à articuler un « bonjour ».

- Bonsoir Mélodie. Vous travaillez ici ?

- Et vous, vous faites de la musique, j’avais raison ! m’exclamai-je.

- Est-ce une façon aimable de me rappeler que nous devons chacun nous « occuper de nos oignons » et que ma question était malvenue ? retorqua-t-il pince-sans-rire.

Je ne compris pas immédiatement à quoi il faisait référence, puis je me souvins des mes questions à propos de la musique et de John Butler. Il s’était mépris, et avait dû trouver ma répartie impressionnante. Je décidai cependant de ne pas m’aventurer sur un terrain dangereux.

- Ah non, pas du tout, désolée. Je travaille effectivement ici de temps à autre, pour me faire un peu d’argent de poche, et financer mon permis de conduire.

Un mensonge de plus. Il parut agréablement surpris.

- Bonne idée. Comme vous le voyez, continua t-il en me désignant la housse noire qu’il venait de déposer au sol, je fais de la musique : batterie et piano.

Comme je ne trouvai rien d’intelligent à répondre, et que mon envie de continuer cette conversation était mitigé, je préférai reporter mon attention sur les clients, qui n’attendaient qu’elle. Ils commandèrent trois cafés. Pour peu, ils m’auraient demandée trois « lait-fraise ». Pourquoi Diable, voulaient-ils la boisson de la carte, la plus rapide à préparer ? Lorsque j’apportai leurs consommations, seulement quatre morceaux de batterie étaient entassés dans un coin de la salle. Soit ils étaient vraiment lents, soit j’étais beaucoup trop efficace. De ce fait, je me retrouvai rapidement à tourner en rond. Filer me cacher à la cuisine ? Ma lâcheté avait des limites. Les aider à décharger la voiture et installer des instruments -auxquels je ne connaissais rien- ? Plutôt mourir ! Feindre d’astiquer le comptoir ? Pourquoi pas… Cette idée ni fit ni une ni deux, j’avais un torchon dans la main droite et l’ « Ultra Dégraissant » dans la gauche quand Antoine (je m’étonnai de penser à lui par son prénom) m’interrompit.

- Serait-il possible d’avoir un rafraichissement pendant que j’installe tout ça ? dit-il en désignant le bazar posé en vrac.

Je jetai un coup d’œil à Cyprien, qui acquiesça sa demande en clignant des yeux.

- Oui bien-sûr, monsieur. Je vous sers quoi ?

- Qu’as-tu à proposer ?

- Vous… j-je… heu…

- Je t’ai surprise on dirait ? s’amusa t-il en s’appuyant sur le bar.

- C'est-à-dire que d’habitude vous me… enfin vous me dites « Mlle Villard » et « vous ». Et là, en l’espace d’une poignée de minutes vous m’avez appelez par mon prénom et tutoyée.

- Effectivement, mais garde en tête qu’aujourd’hui est un jour un peu spécial, et qu’à l’instar de tes heures de colle, cela restera entre nous.

- Bien évidemment. Donc, avec ou sans alcool ? demandai-je, bien heureuse de revenir sur un sujet plus bateau.

- Il n’est pas très recommandé pour un musicien de boire de l’alcool avant une prestation…

- Mais c’est dans plus de quatre heures, les effets seront dissipés. Et puis, la plupart des vraies rock stars montent sur scène avec déjà un bon taux dans le sang ! Il parait que ça aide…

- Non mais je rêve ! (Il pencha la tête en arrière et rit) Ne serais-tu pas en train de m’inciter à m’enivrer ? Franchement, c’est la meilleure… une de mes élève, et toi qui plus est, essayant de me faire boire !  

Il s’accouda au comptoir et posa sa joue droite contre la paume de sa main. Ses cheveux n’étaient pas soigneusement peignés comme à leur habitude, et quelques mèches s’échappaient entre ses longs doigts.

- Prépare-moi ton cocktail non alcoolisé préféré, m’ordonna t-il gentiment, sauf s’il contient de la cerise !

- Ma boisson sucrée favorite n’est pas un cocktail mais un milkshake : kiwi/banane ça vous tente ?

- Avec plus de kiwi que de banane, et une double dose de glace à la vanille. Parfait.

Son sourire ne s’effaçait pas de son visage, si bien que l’on aurait pu croire qu’il posait pour Voici, ou faisait la publicité de son dentifrice « blancheur ++ ». Le voir si détendu avait l’effet inverse sur moi, même si durant de brefs instants je parvenais à oublier que c’était mon professeur. Le silence qui pesait entre nous depuis que j’avais commencé à éplucher le kiwi, se faisait de plus en plus suffocant. Je le rompis avec la première remarque qui me vint à l’esprit.

- Vous semblez être de bonne humeur aujourd’hui ?

- De meilleure humeur qu’hier, tu voulais dire ? Est-ce encore un de tes habiles subterfuges pour me faire comprendre que j’étais de mauvais poil hier soir ?

Il soupira, son sourire disparut immédiatement de son visage et ses traits se durcirent. Là, je retrouvais le bon vieux Chalamangé !

- Je pense que vous me surestimez M.Chalon, ou mon esprit tout au moins. Je ne suis aussi vive et sarcastique vous ne le pensez.

- Tu l’es bien plus que tu ne l’imagines, retorqua t-il.

- Oh ! C’est un compliment ? m’étonnai-je en esquissant un sourire.

- Je suis en en effet de bonne humeur, répondit-il après de longues secondes d’hésitation. Faut avouer qu’hier j’ai eu une sacrée journée de m… ! Le matin j’avais mis le pied dans une flaque d’eau en descendant d’un trottoir, résultat : ma chaussette a été mouillée toute la journée. Ensuite, je me suis aperçu en arrivant au lycée que j’avais oublié mon portefeuille à la maison. Comme j’en avais besoin le midi pour aller manger en ville avec des collègues, j’ai du retourné rapidement jusqu’à chez moi pour le récupérer. Impossible de mettre la main dessus, j’ai retourné toutes les pièces, toute ma voiture, toute ma garde robe… RI-EN ! J’ai loupé l’heure du rendez-vous au restau’ et j’ai du manger à la cantine. Beurk… franchement je ne sais pas comment les élèves font pour y manger chaque jour ?

- On n’a pas franchement le choix, mais ce n’est pas si terrible que ça ! répondis-je en hâte, bien contente de parler nourriture plutôt que portefeuille « perdu ». Je lui tendis son milkshake, qu’il accepta avec un large sourire.

- Ouais, surement…reprit-il. Bref, en début d’après-midi je suis allé aux objets trouvés du lycée : rien, et à ceux de la ville non plus ! Et pour couronner le tout, de 16h à 18h mes élèves de Seconde ont été particulièrement pénibles. Ou alors j’étais particulièrement sensible, je ne sais pas…

Il enfouit son visage dans ses mains, puis se gratta vigoureusement le cuir chevelu. Lorsqu’il reposa son menton sur ses mains en coupe, il avait le regard d’un chien battu.

- Ouais je sais de quoi vous voulez parler, dis-je en regardant furtivement Cyprien. Il y a des jours comme ça, où l’on va de déception en déception et…

- …on n’attend qu’une seule chose : se coucher pour que tout s’arrête, compléta t-il.

- Oui voilà, exactement. Et alors, tout s’est arrangé ?

- Bof, pas vraiment. Je n’ai pas encore retrouvé mon portefeuille, mais le concert m’a redonné la pêche ! La musique me permet de m’évader un peu…

Tandis qui sirotait son milkshake, je réalisais à quel point cette conversation était invraisemblable, presque surnaturelle. Ses mots s’agitaient sous mon crâne « et toi qui plus est », « tu l’es bien plus que tu ne l’imagines » et redescendaient jusqu’à dans mon ventre, où ils formaient une boule. Puis je le vis prendre appui sur ses coudes et passer le haut de son corps par-dessus le bar. L’espace entre nos deux visages s’étaient resserré si rapidement -et si dangereusement- que par reflexe je fis un pas en arrière. Il jeta un bref coup d’œil dans la salle, puis en pliant l’index, me fit signe de m’approcher. C’est alors qu’il me chuchota à l’oreille l’une des dernières choses à laquelle je me serais attendue…

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